1er Flashback - Sherrinford : L'église des trois aciers - Terminé

Les murs lisses conféraient à cette petite pièce une ambiance encore plus solennelle que celle, artificielle, qu'on avait essayé donner à l'étage. Le silence pesait sur Olm plus encore que les ombres projetées par les veilleuses. Il tremblait. Pas de peur. Pas d’excitation. Il tremblait de comprendre ce que signifiait toute cette installation. De ce que représentaient tous ces disques, alignés, méticuleusement étiquetés. Il grimaça, avant de poser un autre pied à l’intérieur, toujours sur ses gardes. Il l’aurait étonné que ce type de lieu ne soit pas truffé de pièges et d’alarmes. Silencieuses ou non…

L’enquêteur s’approcha discrètement et minutieusement, observa ce qui s’enregistrait sur les disques. Celui sur lequel se trouvait sa conversation avec l’alachine était encore dans l’enregistreur. Les conversations d’Abion devaient se trouver sur le même. Avant de s’y intéresser plus avant, Olm fouilla le bureau, à la recherche d’un recueil d’informations ou dossier de registre… Malheureusement, rien de concluant de ce côté. L'alachine ne gardait apparemment pas d'autres notes que les dates des disques.

Olm serra les dents. Il se trouvait face à un dilemme qui le mettait mal à l'aise. Prendre des disques et s'en aller ? Dans ce cas, le prêtre saurait que quelqu'un avait pénétré son antre. Ecouter simplement ? Alors Olm n'aurait pas de preuve physique. Il observa le couloir, inquiet à l'idée que quelqu'un entre. Finalement, il s'avança vers l'enregistreur et retira le disque actuellement en cours d'enregistrement pour y installer un nouveau disque vierge. Il posa ensuite le disque dans le gramophone et le fit tourner. Il écouta ces échanges qui se faisaient entre des personnes dont il ne savait rien. Dont il ne voulait rien savoir. Tout ce qui l'intéressait, c'était de trouver le passage avec Abion.

Olm plaça l'aiguille du phonographe sur le disque, le démarra et prit place dans le fauteuil à côté.
Des grésillements percèrent le silence oppressant de la pièce et rassurèrent quelque peu le détective. Au bout d'une seconde interminable, ils laissèrent place au premier enregistrement. Aucune date ni aucun nom qui permettraient éventuellement de mieux situer les enregistrements ne sont donnés. Olm n'a donc de choix que d'écouter patiemment les enregistrements.

Tandis que les minutes s'égrenaient comme les chapelets des fidèles quelques mètres au-dessus de la tête du détective, les informations qui lui parvenaient étaient pour le moins instructives. Entre confessions inutiles de fidèles innocents et petits larcins insignifiants, il retrouva régulièrement un même commanditaire, parlant systématiquement à Abion, dont il reconnu sans peine la voix. L'inconnu demanda à chaque fois au malandrin de lui apporter du cuivre, dont les quantités semblaient correspondre aux quelques vols des dernières semaines dont Olm avait connaissance. Le jeune homme était néanmoins de moins en moins convaincu de vouloir continuer. Pris entre le manque financier et la peur de représailles officielles, il était de plus en plus hésitant et demandait de plus en plus d'argent. Dans sa dernière discussion avec cet homme, il avoua même vouloir arrêter entièrement, qu'il savait la police à ses trousses et qu'il allait devoir payer cher s'il n'arrêtait pas bientôt. Il était régulièrement fait mention - à trois fois pour être précis - d'un certain duc qui semblait être au courant des tractations des deux hommes.

Mélangée aux autres, une discussion marqua particulièrement Sherrinford : il s'agissait de celle entre ce qui semblait être un jeune garçon et un certain Monsieur de Lune. L'enfant proposait à son interlocuteur de lui donner les mécanismes renégats desquels il était en possession, qu'ils lui permettraient sans l'ombre d'un doute de parvenir à ses fins. Il lui demandait simplement en retour que l'on lui livre "la fille", condition qui fut acceptée. Bien sûr, les deux personnages ne dévoilaient pas suffisamment d'informations pour qu'Olm puisse en apprendre davantage. De toute manière, cette interaction ne l'aurait pas intéressé plus que les autres, si tant est qu'elle ne confirmait seulement les secrets de polichinelle qui se fomentaient dans l'ombre de la ville. Cependant, elle avait ceci de singulier que l'un des participants était effectivement un jeune garçon. Il ne s'agissait pas d'un simple adulte à la voix plus aiguë que la normale, mais bien d'un enfant, d'environ une quinzaine d'années. Sa voix était cependant particulièrement autoritaire. Il savait ce qu'il voulait ce qu'il faisait.

Finalement, le détective trouva finalement ce qu'il cherchait : Abion et "le métropolite". La discussion était très étrange. Dans toute l'écoute précédente, Abion n'avait qu'un seul interlocuteur. Toujours le même. Son dialecte semblait être plutôt traversier et son langage correct sans être particulièrement soutenu. Le nouvel arrivant cependant était bien plus posé, calculateur, froid. Aucune réelle émotion ne semblait se dégager de son discours et quand il essayait d'en manifester, elles semblaient systématiquement en décalage, comme s'il appuyait le mauvais mot, trop tôt ou trop tard. Il utilisait un jargon de métropolite et mettait Abion très mal à l'aise. Ce dernier fut d'ailleurs surpris de ne pas avoir son interlocuteur habituel et s'introduit en expliquant qu'il ne savait pas pourquoi il était venu, qu'il arrêtait tout cela à cause des menaces de la police et qu'il ne voulait même pas entendre le marché. Il resta. Le métropolite lui proposa une somme importante - tout du moins pour le jeune démuni - ainsi qu'un billet pour le Transécryme. Le jeune homme hésita. Fortement. Lorsque le métropolite lui demanda de voler les bobines de cuivre de la halle ferroviaire, Abion s'emporta et refusa catégoriquement. Jamais il ne ferait cela. Un silence se fit. Une seconde. Deux. Peut-être trois. Elles semblaient durer une éternité. Un froid s'empara de Sherrinford. Il senti la peur et la colère d'Abion à travers le silence du phonographe. Il se sentait appelé par l'appareil. Par le disque. Son regard se figea dessus, comme s'il voulait plonger dans les micro-sillons qui le constellaient. La voix douce du métropolite le rappela à son fauteuil. Il répéta sa demande. Abion accepta.
Il... Accepta ??? Comment était-ce possible ? Il semblait maintenant dénué de toute peur ou colère. Que venait-il de se passer ? Un passage manquant de l'enregistrement ? Olm avait compris que l'enregistrement se mettait en route lorsque deux personnes s'asseyaient sur les banquettes du confessionnal, une de chaque côté. L'un des deux hommes s'était-il levé ? C'était la seule explication plausible pour un tel revirement de situation, mais il savait très bien que l'enregistrement ne s'était pas arrêté pendant tout ce temps. Quelque chose clochait gravement et une sueur froide se forma dans le dos du détective. La salle se fit soudainement plus oppressante, effrayante, même. Il venait de toucher du bout du doigt quelque chose qu'il ne comprenait pas.

Le reste de l'enregistrement n'étaient qu'affaires secondaires et inutiles qui ne perçaient même plus la pensée d'Olm, occupée qu'elle était par cette dernière révélation. L'enregistrement se termina sur les deux hommes qu'il avait vus plus tôt, qui parlaient d'un échange de drogue qui allait se réaliser sans la ghilde des Rêveurs, qui se doutait de leur petit manège et ne tarderait pas à les faire parler.

Olm resta installé sur le fauteuil pendant suffisamment longtemps pour avoir l'impression y avoir passé des heures. Il avait la bouche sèche. Ses lèvres lui donnaient l'impression d'être parcourues de crevasses. Il passa sa langue doucement dessus pour les humidifier. Merde. Toute cette histoire s'enfonçait dans les ombres tumultueuses de l'incompréhension. L'enquêteur se redressa et fit quelques pas dans la petite salle, sa canne tournant entre ses doigts. Il essayait de faire le tri dans tout ce qu'il venait d'entendre. Il ferma les yeux.

Mr. Lune. Guy de Lune. Olm connaissait ce nom. Un véritable sale type qui sévissait sur les traverses. Dans le fond noir de ses paupières, quelque-chose se dessina. Un lys noir. C'était ça le groupe terroriste du Lys Noir. Depuis quelques temps, ils sévissaient sur Méthalume. Plongé dans la forteresse de ses souvenirs, Olm fit un quart de tour sur lui-même pour faire face à la fractale suivante :
Abion.

Le jeune homme avait l'air terrorisé. Simplement paralysé par l'idée même de ce que le métropolite lui demandait. L'enquêteur plongea plus profondément, essayant de se mettre à la place du jeune homme. Il avait d'abord refusé. Il ne voulait pas s'opposer aux volontés imposées par la police. De l'argent. Un ticket de Transécryme. Tout ça n'était pas assez pour mettre toute sa vie en péril. Tout ça n'était pas assez pour qu'il accepte. Abion s'était levé. Le métropolite avait parlé. Qu'est-ce qu'il avait pu dire pour le forcer à accepter ? Pas de promesse, Abion n'aurait pas accepté. Pas de menace, Abion s'en serait souvenu... Un vide. Il restait un trou béant dans toute cette histoire, à l'instant où le jeune homme s'était levé.

Sherrinford observa le disque doré qui continuait à tourner dans le gramophone. Il réfléchit. Hésita. Il faisait trop sombre ici. Trop sombre pour lui qui aimait vivre dans la nuit, trop sombre pour lui qui arpentait Méthalume à la tombée du soleil... Il récupéra le disque. L'alachine saurait certainement que quelqu'un s'était introduit dans son repaire, mais il ne pourrait s'attaquer à lui sans avouer son implication dans cette grande entreprise d'écoute et de chantage...

Olm avait une intuition noire. Une sensation dérangeante que quelque chose, dans cette histoire, n'était pas explicable par la simple logique. Quelque part, au fond de son esprit, tambourinaient des mots sombres, qu'il ne voulait entendre. Qu'il refusait d'accepter. Pas encore. Pas sans avoir une preuve. Céphale. Ce mot résonnait en fond de ses pensées, mais Sherrinford le repoussait. Pas encore.

Il grimpa les marches, sans savoir exactement où il comptait aller maintenant. Il devait réfléchir. Essayer de comprendre. Peut-être qu'Abion se souviendrait de quelque chose, en entendant le disque...?

Olm remonta discrètement les marches, perdu dans ses pensées, le disque bien caché sous son manteau. Il ouvrit et referma la porte doucement derrière lui, sans le moindre bruit, après s'être assuré que la voie était bien libre.
L'église était toujours plongée dans le noir. Et le silence. Le silence était assourdissant. Plus encore qu'en venant, Sherrinford se sentait comme sourd. Il pouvait entendre son cœur battre et s'accélérer à mesure que sa crainte augmentait. Il chassa cette impression, se disant que son ouïe venait d'être mise à l'épreuve par le disque qu'il venait d'écouter, rendant le silence de l'église plus présent.
Il fit quelques pas pour s'avancer vers la sortie, à couvert. Si personne ne l'avait vu en venant, personne ne le verrait en sortant.

Il croisa le regard d'un premier fidèle sur un banc qui venait de tourner la tête vers lui, le fixant dans les yeux. Olm eut un haut-le-cœur, se figea, puis continua d'avancer, sous le regard de la personne. Une autre se tourna. Encore une. Bientôt, toutes les personnes présentent dans l'église le regardaient en silence, les yeux grands ouverts. La porte donnant sur les quartiers des religieux était ouverte et un prêtre, autre que l'alachine, le fixait également. Les expressions de l'assemblée étaient vides.
Savaient-ils pour le disque ? Le voyaient-ils ? Savaient-ils d'où Olm venait ? Était-il simplement en train d'halluciner à cause de toute cette histoire ? Certainement. Mais tout le monde le regardait. Même les pauvres hères qui dormaient auparavant le regardaient en silence, toujours couchés. Ils le suivirent tous du regard, jusqu'à la sortie, son cœur battant maintenant la chamade. La pièce à conviction semblait lui brûler entre les mains.
En franchissant le seuil de l'église, il crut entendre un "Olm" chuchoté par toutes les personnes présentes, mais il l'entendit directement dans sa tête. Une multitude de voix qui résonnèrent comme une seule. Il se retourna pour les voir, mais personne ne semblait avoir parlé. Il devait partir ici. La peur des représailles du culte de Malachine était bien réelle. Il venait de mettre les pieds dans un énorme guêpier.

Le sang de l'enquêteur se gela dans ses veines au moment où son regard croisait celui d'un des fidèles. Il n'aurait pas dû le voir. Il n'était qu'un parmi tant. Il n'avait rien de spécial, rien d'intrigant par rapport à tous ceux qui déambulaient dans l'église. Pourquoi lui ? Pourquoi l'observait-il de ces yeux vides, sans autre expression que le besoin... Le besoin de le voir ? Pourquoi n'observait-il pas un autres des fidèles ? Pourquoi pas cette vieille femme ? Mince. Ses yeux croisèrent le regard fixe de l'ancienne. Elle aussi, les gardait plantés sur lui. Quelque-chose n'allait pas. Quelque-chose avait échoué. Pris d'un soudain accès de panique, l'enquêteur habituellement calme comme le granit, fit glisser son regard d'un occupant de l'église au suivant. Ouvrier, mendiant, femme de chambre, serveuse. Jeune, vieux, dans la force de l'âge. Traversier, éternel urbain... Ils n'avaient rien en commun, si ce n'était ce regard. Ce regard de fer et de cendres, plongé dans celui de l'enquêteur Sherrinford Olm.

Une goutte de sueur roula dans le dos de l'enquêteur avec la lenteur d'une marche rythmée par sa respiration. Ce ne fut que dehors qu'il réalisa qu'il inspirait à peine. L'air n'entrait qu'en filet étroit, tandis qu'à ses oreilles retentissait le murmure. Le murmure d'un orage qui claquait sur mille lieux. Un tonner de chuchotements pressés, inquiétants.
"Olm." "Olm."
Les dents serrées, Sherrinford observa l'église. Les regards se posaient toujours sur lui, autant d'accusations que d'iris. La peur, alors, laissa place à autre chose.
Froide, épaisse, elle se glissa hors de lui tandis qu'il se tournait, le regard d'acier posé sur la rue qui s'étrécissait devant lui. Il ne savait pas où le chemin de cette affaire l'amènerait, mais il savait qu'il y ferait face. Qu'il se tiendrait debout devant celui qui cherchait à l'intimider et qu'il lui rappellerait que la terreur était une arme à double tranchant. Parce que la peur, quand elle est maîtrisée, se transforme en détermination.

D'un pas assuré et ferme, l'enquêteur marcha à travers la cité de Méthalume vers la seule adresse possible. La seule adresse à laquelle on peut se fier et à laquelle on peut frapper quand la vie devient trop étrange, trop impossible, trop effrayante. Quand tout le reste échoue... 221B Baker Street.

Sherrinford gagna son domicile. Il passa la porte d'entrée en métal, quelque peu rassuré de se retrouver dans un environnement familier et, surtout, sûr. Ici, il était aux commandes, il pouvait contrôler ce qu'il s'y passait.

Il resta coi l'espace d'un instant lorsqu'il vit Mrs Udson venir à sa rencontre dans l'étroit couloir. Il était 4h du matin. Elle avait beau être matinale, ce n'était pas son heure habituelle. Pire encore, elle semblait effrayée, apeurée, un peu tremblante. Et silencieuse. Cela ne lui ressemblait en rien.
"Sh... Sherrinford" balbutia-t-elle "il y a un homme pour vous dans le salon. Un Métropolite. Il vous attendait." Alors qu'elle le laissait aller dans la pièce encore sombre, elle marmonnait doucement sur un air de reproche, plus pour elle-même que pour son locataire "Qu'avez-vous fait, mon pauvre ! Pour l'amour de l'écryme, qu'avez-vous fait !"

Quand Olm arriva dans le salon, un Métropolite l'attendait, effectivement. Contrairement aux Métropolites qu'il connaissait, il semblait plus calme "Sherrinford Olm, quel plaisir de vous rencontrer. Je dois vous dire que votre réputation vous précède, mon cher. Je savais que vous étiez un brillant détective, mais de là à oser vous opposer au culte de Malachine, c'est une autre paire de manches. À ce propos, je suis sincèrement désolé de devoir vous apporter de mauvaises nouvelles." La voix du Métropolite était douce, presque envoûtante. Ses gestes étaient un peu bizarres, Olm n'arrivait pas vraiment à mettre le doit sur ce que c'était "Vous aviez tout à fait raison de remonter la piste à l'église des Trois Aciers. Cependant, comme vous vous en doutez, l'alachine n'en est pas réellement enchanté. La Propagande est tout à fait consciente de ce qui s'y trame, mais affronter le culte est trop dangereux, même pour le ministère. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ils vont vouloir vous le faire payer." La peur commençait à monter en Olm. Il pensait à Mrs Udson, à l'agent Tom, à tous ceux qu'il avait mis en danger par ses actes. Il était allé trop loin. Les yeux du Métropolite plongés dans les siens, le détective se sentait rempli de peur. Du plus en plus. Un véritable ras-de-marée. Son cœur se mit à battre plus rapidement, le sang battant dans ses tympans assourdissant même les paroles de l'homme à la redingote noire. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Il ne savait même pas si la peur qu'il ressentait était la sienne. Elle le submergeait. Jamais il n'avait ressenti un sentiment aussi fort. Il ne pouvait même plus se raisonner. L'adrénaline courrait dans ses veines. Il devait agir. Mais que faire ? Les paroles du Métropolite le ramenèrent au présent, tandis qu'il lui tendait un ticket pour le Transécryme à destination de Venice, 1ère classe "Le Transécryme quitte Méthalume cet après-midi. Je vous conseille fortement de le prendre. Partez d'ici pour quelques temps, laissez l'affaire retomber. Le culte de Malachine ne vous poursuivra pas aussi loin, ne vous inquiétez pas. Nous trouverons le moyen de justifier votre départ auprès de la police et je vous promets que Mrs Udson sera en sécurité, nous y veillerons. Le plus important est que vous preniez le train cet après-midi et que vous partiez d'ici."
Le Métropolite semblait avoir raison. Ses paroles faisaient sens. Olm devait partir, au plus vite.

Mrs Udson renchérit "S'il vous plaît, mon ami, quittez la ville, mettez-vous en sécurité. Il m'a promis d'être sous surveillance et la protection de la Propagande. Tout se passera bien pour moi, le culte ne me veut rien. S'il vous plaît, protégez-vous. Nous nous retrouverons plus tard."

Olm se redressa sans un mot quand le métropolite eut terminé. Quelque part, à l'orée de son esprit conscient, quelque chose sonnait, tintait comme un triangle. Tintait à la manière d'une petite cloche, qui essayait de le rappeler, de le retenir. Il ferma les yeux un instant et il eut l'impression que la seconde d'après, il s'était passé des heures. Il respira profondément. Quelque chose... au loin... semblait tinter. Il ne savait pas quoi, cependant.
La note disparaissait, mais Olm savait qu'il devait s'en souvenir. Absolument.

Il n'avait pas dit un mot au Métropolite. Il s'était contenté d'écouter. Sous son manteau, le disque doré collait contre ses côtes, froid et pourtant brûlant. L'homme ne l'avait pas demandé, mais Olm était persuadé qu'il savait qu'il se trouvait là. Cet homme savait d'avantage de choses que l'enquêteur et cette perspective le mettait mal à l'aise. Il avait raison. Evidemment. Il devait quitter Méthalume, au moins pour un temps. Pourquoi s'était-il installé ici, de toute façon ? Il avait déjà travaillé à Venice... Ce serait agréable, d'y retourner.

Quand la vie devient trop étrange, trop impossible, trop effrayante. Quand tout le reste échoue... Il devrait toujours y avoir une adresse vers laquelle se tourner, à laquelle frapper. C'était pour ça, qu'il avait choisi Méthalume. Une citée de fer au coeur d'acier. Une cité dans laquelle chacun brûle en secret sur une place publique. Une cité dans laquelle la guerre avait fait rage mais où c'était la solitude qui faisait le plus de mal. Une cité drapée dans les fumées d'une folie qui s'insinuait partout. Chaque jour, chaque instant, quelqu'un avait besoin d'éclaircissements. Chaque instant, quelqu'un dans cette ville avait besoin d'être tiré des ombres, d'être amené à la lumière et c'était pour ça que Sherrinford s'était installé ici. 221B Rue de Boulangers était une idée pour l'enquêteur plus encore qu'un foyer.

Ses dents étaient serrées, mais il respira. Ils avaient raison. Lui, le métropolite, elle, l'amie. Tout d'abord, il hocha la tête à l'attention du métropolite.
"Evidemment, se contenta-t-il de dire avant d'accompagner l'homme à la porte." Quand celui-ci fut parti, Sherrinford se tourna vers Mrs Udson et l'observa quelques instants sans mot dire. Soudainement, il s'anima, grimpa les escaliers plus raide qu'une branche morte et se dirigea vers son secrétaire. Il y griffonna quelques mots. Il devait mettre de l'ordre dans ses affaires avant de quitter la ville.

Quand l'enquêteur redescendit les escaliers, il avait à la main une valise avec ses affaires pliées à l'intérieur et quelques économies. Dans sa main, il tenait l'une de ses cannes de combat. Il avança vers la propriétaire qui l'observait, le visage tordu par l'inquiétude.
"Mrs Udson. Si quelqu'un venait à avoir besoin des services de la maison, renvoyez-les à cette adresse. Il s'agit du Docteur Jameson Watson. Il saura les aider."
En-dessous de la plaque sur laquelle était gravé l'adresse de Watson était glissé une seconde, sur laquelle Sherrinford avait, sans plus d'indication, inscrit une autre adresse. Une adresse à Venice. Mrs Udson tout comme lui savait que cette adresse n'existait pas. Elle n'était là que pour rappeler à la vieille amie de l'enquêteur la véritable adresse à laquelle le trouver et permettrait d'envoyer les fouineurs dans une mauvaise direction.
Olm observa Mrs Udson avec un sourire triste avant de s'approcher maladroitement et de la prendre dans ses bras. Elle bégaya quelques mots qu'il ne comprit pas et il se contenta de répéter ce qu'il avait toujours dit :
"Si vous avez besoin d'aide, écrivez-moi."

Le soleil ne perçait pas à travers les fumées sombres de la cité et cette chape de plomb rappelait à l'enquêteur celle qui pesait sur son esprit. Pourquoi abandonnait-il cette bataille ? Il n'en avait pas vraiment d'idée. A bien y réfléchir, maintenant qu'il pouvait y repenser, il n'avait pas vraiment peur. Il avait envie de comprendre bien plus qu'il n'était inquiet. Pourtant, il prenait la route de la station et dans quelques heures, serait monté à bord d'un transécryme pour Venice. Dans sa valise, la présence d'un disque doré lui paraissait maintenant étrangement incongrue. Il y repenserait plus tard.


Quelque part, loin, très loin, quelque chose, cependant, le dérangeait. Un son clair, léger et presque inaudible. Une clochette ? Un triangle ?