1er Flashback - Sherrinford : L'église des trois aciers - Terminé

Peu de choses pouvaient laisser Sherrinford hésitant et fébrile, mais la vue de ces profondeurs qui s'étiraient dans toutes les directions sans murs pour jamais les arrêter, de cet horizon qui semblait bien trop éloigné pour pouvoir être atteint... De cette mer infinie, avait sur lui l'effet d'une pierre sur le coeur. Sa respiration était plus difficile et l'air qui passait à travers ses lèvres semblait plus... lourd. Ce changement de décors, cependant, n'allait pas empêcher l'enquêteur de faire son travail. Il avança vers les chariots qui étaient arrêtés là et observa les policiers qui surveillait un homme. La quarantaine, ouvrier... Sherrinford le scruta pour en tirer tout ce qu'il y avait à en tirer. Des détails de son bleu de travail à sa coiffure, jusqu'à ses regards dérobés. Ce qu'il cachait mais montrait par son comportement... Sherrinford voulait le comprendre. Il ne s'approcha cependant pas encore pour lui parler, s'intéressant d'abord aux chariots. Il s'approcha et inspecta leur position, ce qui y était entreposé et tout ce qu'il pouvait découvrir.
Chaque détail importait et c'était eux qu'il essayait de trouver.

Les chariots se trouvaient un peu sur le côté de la traverse. Au vu de leur position, ils semblaient bien être venus directement de Méthalume et non pas de la traverse elle même. Rien ne semblait manquer ou y avoir été ajouté ou dissimulé. Ils n'étaient pas non plus vandalisés, dégradés ou même détruits. Ils semblaient simplement avoir été amenés ici avant d'avoir été abandonnés.

L'un des policiers de garde approcha alors Sherrinford "Bonjour Monsieur, agent Antal, j'ai interrogé la personne ayant signalé les bobines. Il dit avoir simplement été sur le chemin du travail avant de les découvrir et de les signaler au premier policier qu'il a pu trouver et revenir ici avec lui pour les lui montrer. Par contre il dit vouloir retourner au travail le plus rapidement possible sous risque de sanction par ses supérieurs. Et si je peux me le permettre, il n'a pas tord, malgré la dérogation que nous allons lui donner. Si vous voulez encore l'interroger vous-mêmes, ce serait bien de le faire maintenant, sinon nous devrons attendre ce soir, après son poste, quand il sera à nouveau chez lui."

Sherrinford hocha la tête et laissa les chariots sur lesquels il ne semblait rien y avoir à relever pour s'approcher de l'homme en bleu de travail. Il se présenta simplement, mais il détaillait chaque petit mouvement, chaque regard, pour détecter un mensonge ou une vérité cachée :
"Je suis Mr. Olm, bonjour. Est-ce que vous pouvez me décrire exactement ce que vous avez vu ce matin...?"

L'enquêteur était sceptique. Cette piste ne semblait mener nulle part et... à vrai dire, il n'avait pas encore saisi les tenants et les aboutissants de cette affaire. Voler des bobines qui valaient une fortune ? D'accord. Tuer pour les prendre ? Le motif était là...
Mais si le motif était abandonné sur le bord d'une traverse, il manquait quelque chose. Il lui fallait le prétexte, l'impulsion. Le pourquoi, pour trouver le qui.

L'ouvrier, semblant de plus en plus pressé, répéta à Sherrinford ce qu'il avait déjà dit plus tôt aux officiers.
"J'ai pas vu grand chose, pour être honnête. Je marchais sur la traverse, comme chaque matin depuis maintenant bientôt 15 ans et j'ai vu les chariots avec les bobines. J'ai déjà vu du matériel en transit sur cette traverse, mais jamais abandonné. J'ai trouvé ça louche, d'autant plus que c'est une marchandise assez chère. Je sais comment on fabrique ces trucs, donc je sais à peu près ce que ça vaut, vous pensez. Quand j'ai vu ça j'ai tenté de trouver un policier. J'ai vu une patrouille de 2 agens, je leur ai dit ce que j'ai vu, j'ai accompagné l'un pendant que l'autre est allé chercher du renfort. Et j'attends ici depuis ce moment. Sans vouloir vous manquer de respect, je voudrais vraiment pouvoir m'en aller maintenant, sinon mon chef va être furieux. Je veux bien vous donner mon adresse, vous pourrez repasser si vous voulez, mais il faudrait vraiment que j'y aille."

Cet homme semblait dire la vérité. Sherrinford ne pouvait rien déceler chez lui qui semblait le trahir sur un mensonge. Cette enquête était complètement insensée. Quelqu'un dans les parages a bien dû voir quelque chose. Peut-être un échassier, il a peut-être vu quelque chose en cueillant des fleurs d'écryme.

Sherrinford hocha la tête. L'ouvrier semblait honnête et il serait certes mal avisé de le mettre dans l'embarras pour avoir fait ce qu'il fallait.
"Merci de votre coopération, monsieur. Laissez votre adresse et votre lieu de travail au policier et n'oubliez pas de leur demander une preuve de leur implication dans votre retard..."

Après avoir écouté l'homme donner son adresse et sa profession, l'enquêteur s'éloigna. Il regardait autour de lui, l'air absent, mais le regard vif, jusqu'à ce qu'il trouve ce qu'il cherchait :
"Monsieur l'agent, dit-il de sa voix posée, seriez-vous suffisamment aimable pour me quérir les échassiers qui travaillent là-bas ?"

Sherrinford n'avait aucune envie d'élever la voix et si des policiers pouvaient le faire pour lui, il s'en servirait.

"Bien sûr, monsieur" Répondit l'agent avant de se mettre en route pour héler les échassiers.
Quelques minutes plus tard, il revint en compagnie de trois hommes à l'air fatigué, les habits mouillés par la transpiration et la brume, les épaisses chaussures partiellement rongées par l'écryme.
"Voici les personnes que vous avez demandé, monsieur. Leurs collègues continuent le travail mais feront le déplacement si nécessaire."

Sherrinford observa les échassiers qui, du haut de leurs prolongations métalliques, ressemblaient un peu à des grues mutées. Leurs masques étaient relevés sur leur visages fatigués, ruisselants de sueur. Tenir debout, sur quatre membres artificiels, au-dessus d'un lac de mort était une folie que l'enquêteur avait du mal à concevoir.



"Merci d'avoir répondu, dit-il simplement. L'un d'entre vous a-t-il à tout hasard aperçu l'arrivée de ces chariots ou quelqu'un rôder aux alentours, ce matin très tôt voire... cette nuit ?"



Travailler dans l'écryme paraissait une aberration à l'enquêteur. Y travailler de nuit...?

C'est le premier échassier qui lui répondit "Honnêtement, je ne suis pas certain d'avoir vu quelque chose. Vous savez, on est pas très proches de la traverse quand on travaille, on a souvent les yeux vers le bas pour cueillir les fleurs et puis bon, on était un peu à contre jour aussi. C'est difficile de voir, dans ces conditions, mais en réfléchissant assez fort, peut-être que je me souviendrai avoir vu quelque chose."

Il allait sans dire que l'échassier demandait un petit pot-de-vin. Ce n'était pas inhabituel, bien au contraire. Ils effectuaient un travail dangereux qui demandait beaucoup d'énergie et ne recevaient pas beaucoup d'argent pour cela. C'est un secret de polichinelle parmi la police que les agents donnent de petits à-côtés à leurs informateurs.

Sherrinford hocha du chef sans pour autant sourire. Il jeta un regard insistant au policier qui se trouvait à côté de lui :
"A contre-jour, monsieur l'agent. Difficile de voir, à contre-jour."
Il accompagna cette sentence d'un petit mouvement de tête qui signifiait : "Allez, ne faites pas attendre votre informateur..."

D'un air entendu, l'agent glissa discrètement quelques hurles dans la main de l'échassier en le saluant. En les sous-pesant, la mémoire sembla lui revenir petit à petit "Oui je me souviens avoir vu quelque chose. La cargaison était déjà là quand je suis arrivé, sur les coups de 3h30-4h. Au début je pensais à un transfert de marchandise habituel, même s'il était un peu tôt. Ils livrent souvent du cuivre vers Sankt Antha ou Weinsert, je ne sais pas trop laquelle des deux seigneuries passe commande et je m'en moque un peu. Quoi qu'il en soit, ils étaient un groupe de 6 personnes et attendaient probablement un transfert, sauf que ce transfert n'est jamais arrivé. Quand le jour a commencé tout doucement à se lever, je les ai vu partir en courant. J'avoue que je les ai observé un peu plus longtemps. J'ai clairement reconnu deux hommes de la troupe d'Abion. Je pense qu'il était lui aussi de la partie, mais j'aurai du mal à vous le confirmer, il y avait vraiment un contre-jour. Par contre, l'un d'eux boitait méchamment. Faut que je vous dise qu'Abion et ses hommes sont des habitués de la traverse, ils livrent régulièrement du cuivre, mais c'est la première fois que je les ai vus avec un paquetage pareil, ça leur ressemble pas."

Sherrinford remercia l'échassier et demanda au policier de prendre son nom et son adresse. Après ça, il se tourna vers l'agent Tom, pour lui dire :
"Eh bien il semblerait que nous ayons à rendre une petite visite au jeune Abion. Est-ce que deux autres policiers peuvent nous accompagner ? Nous ne serions pas trop de quatre si les choses tournent mal. Que les autres s'occupent de rapatrier le chargement..."

Évidemment. La récidive était un classique. Le coup en trop. Celui qui devait rapporter assez pour se ranger, mais qui tourne mal, peut-être ? Meurtre, vol. Et leur commanditaire qui ne se montre pas... Mais pourquoi ? Tout ça semblait encore trop flou. Est-ce que ce gosse aurait vraiment dérapé ? Est-ce qu'il aurait été embarqué par plus gros et plus méchant que lui...?

Sherrinford plissa les yeux et se remit en marche vers Methalume. Il arrêterait le premier fiacre pour se rendre au quartier de la Poutre.

Le jour se levant, les rues se remplissaient de plus en plus. Il était difficile de circuler librement entre les habitations, à présent. Terminer le trajet en fiacre était tout simplement impossible, il fallait le faire à pied.
C'est en slalomant entre les passants que le 4 compagnons arrivèrent devant l'habitation d'Abion, bien connue des autorités.
Ils arrivèrent finalement devant le bâtiment d'Abion. Comme la plupart des autres rues, à peine un mètre, un mètre et demi séparait sa façade de celle d'en face. Il était difficile de savoir s'il faisait plus de 3 étages de haut avec les passerelles, fils tendus et autres câbles que les habitants avaient accrochés pour se déplacer, accrocher leur vêtements ou cultiver des champignons. Des protubérances sortaient par endroits de la façade, des pièces qui avaient été agrandies, pour la plupart, au détriment du soleil qui aurait pu espérer toucher la route en contrebas.
Abion habitait au 1er étage, ou du moins s'y trouvait son repère habituel. Il pouvait éventuellement s'échapper par une fenêtre qui donnait sur la rue étroite et bondée ou se trouvaient les 4 hommes. S'il ne pouvait passer inaperçu en s'échappant par là, il serait difficile à rattraper.

Sherrinford observa un instant le bâtiment. Cette masse de métal aux bubons de boulons, soufflant l'air vicié de ce que les habitants crachaient et de ce que les aérations vomissaient, donnait l'impression d'une carcasse de géant au milieu d'un cimetière. L'enquêteur s'assura qu'on ne pouvait fuir que par une seule sortie avant de donner ses instructions :
"Vous deux, lança-t-il à deux des policiers, vous restez postés ici. Soyez sur vos gardes."
Il se tourna ensuite vers le dernier et dit :
"Thomas, vous venez avec moi. Nous allons frapper à sa porte."

Sherrinford se dirigea alors vers le bâtiment dont il ouvrit la porte sans ménagement. Un étage. Une porte. Un possible nouvel indice. Cette piste était trop ténue à son goût.

L'entrée et l'escalier étaient exiguës, tout comme le reste de la maison, de la rue et même de la ville en général. Les deux hommes pouvaient à peine tenir côte à côte.
Ils arrivèrent devant le repère du prétendu voleur et toquèrent à la porte.
Rien.
Tomá toqua à nouveau et appeler "On sait que t'es là, Abion, laisse-nous entrer !"
La méthode avait quelque peu surpris Sherrinford, mais il devait admettre qu'elle fonctionnait. Abion avait déjà ses connaissances habituelles au sein des forces de l'ordre, il n'était pas étonnant qu'il réponde à l'agent.
Il ouvrit doucement la porte. Les yeux rouges et légèrement bouffis, ils étaient très humide, comme quelqu'un qui venait de pleurer. Il semblait également nerveux, tremblait légèrement.
"Oui, comment je peux vous aider ?" Demanda-t-il sur un ton faussement calme.

Sherrinford observa le jeune homme, qui avait l'air d'avoir pleuré et d'être particulièrement à cran. Il préféra jouer la douceur et demanda d'une voix calme :
"Bonjour, Abion. Je me présente, Mr. Olm. Est-ce que nous pouvons entrer ?"

Après avoir passé la porte, Sherrinford laissa son regard se poser sur tout ce qu'il pouvait trouver dans la petite habitation d'Abion. Il profita du temps qui le séparait du premier des "fauteuils" pour essayer de trouver si quelque chose, dans tout ce qui l'entourait, pouvait lui donner une piste.
Une fois ces éléments inspectés, le regard de l'inspecteur scruta les vêtements et les détails de la personne d'Abion avant de revenir à son visage :
"Monsieur, je ne vais pas y aller par quatre traverses : où étiez-vous cette nuit et que faisiez vous ?"

Jets:

"J'étais ici avec des amis..." Répondit Abion, mal assuré.
Abion puait le mensonge. Il était tellement nerveux qu'il se mettait à suer à grosses gouttes, ses tremblements s'intensifièrent et ses regards devenaient erratiques.
Tout dans l'attitude du jeune homme respirait le mensonge et la culpabilité

Sherrinford s'était assis sur un fauteuil miteux dont il ne souhaitait connaître ni la provenance, ni la contenance. Il resta de marbre devant les pitoyables tentatives de mensonges dont faisait preuve le jeune homme. Avec douceur, il dit :
"Asseyez vous, mon cher Abion. Je vois bien que vous êtes fébrile. Essayez de respirer et de rester honnête avec nous. Nous ne sommes pas là pour punir, nous sommes là pour aider. Essayez de nous expliquer calmement ce qui est arrivé cette nuit et ensemble, nous pourrons dénouer cette situation, d'accord ?"

Les manières de Sherrinford étaient calculées, économes et calmes. Elles étaient réfléchies pour mettre le jeune homme à son aise, maintenant qu'il savait ce qui l'attendait. Avec un geste, Sherrinford l'invita à s'asseoir et d'un regard, conseilla au policier de rester calme, voire de reculer légèrement.

L'intérieur du logement d'Abion était un mélange de miteux et de neuf. À l'image de la ville entière, on y était à l'étroit entre les vieilleries récupérées un peu partout par manque d'argent et les babioles inutiles plus récentes probablement volées ou payées avec l'argent récupéré de la vente d'objets volés. Cela étant, ces derniers objets n'étaient pas des plus nombreux et la demeure ressemblait plus à un logement de jeune célibataire qu'un véritable repère de bandits.

Le jeune homme se sentait tellement mal et acculé par la perspicacité de Sherrinford qu'il se mit à pleurer.
"Je... Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé. Oui, nous avons volé les bobines de cuivre, mais je ne sais pas pourquoi. Je voulais arrêter tout ça, vous le savez ! Et je ne voulais jamais... J... Jamais..." Il éclata en sanglots. Il continua après avoir retrouvé un peu de calme "Je n'ai jamais voulu la mort de cet homme. Vous savez qu'on ne tue pas. On l'a jamais fait, jusque là. Je ne sais pas pourquoi c'est arrivé. Rien n'est arrivé comme prévu. On avait la clé. Il ne devait y avoir personne quand ce garde est arrivé. Le coup est parti tout seul, je ne sais même pas exactement qui a tiré. On a pris les bobines et tiré jusque sur la traverse. On y a attendu notre commanditaire jusqu'au matin. Il n'est pas venu. Alors on est partis en courant. Je ne comprends pas tout ça. Tout me semble tellement flou et irréel. S'il vous plaît, ne me dénoncez pas aux métropolites, s'il vous plaît, je ne veux pas mourir." Il se remit à pleurer.

Sherrinford serra les dents. Il n'aimait pas particulièrement les épanchements d'émotion. En particulier quand il n'était pas en mesure d'y faire quoi que ce soit. Il observa le jeune homme avant de se lever calmement et de jeter un oeil dans ce qui servait de cuisine. Il tira une théière qu'il rinça et fit chauffer de l'eau, pour faire infuser un peu de thé. Évidemment, avec ce qu'il y avait dans cette chambre de célibataire, il ne pouvait faire des miracles. Un peu d'eau chaude aromatisée, cependant, ne pourrait qu'aider à calmer le jeune homme.

Quand il revint avec trois tasses, l'enquêteur en tendit une à Abion et une au policier avant de s'asseoir à nouveau.
"Allez, mon garçon, calme toi et reprends du début. Essaie de te souvenir de tout ce qui s'est passé et surtout, essaie de revenir avant. Les jours avant. J'aimerais que tu te remette en tête qui t'as demandé de voler ces bobines, qui t'as donné leur position. Comment tu as su qu'elles seraient là, à cette heure ? C'est important, autant, si ce n'est plus, pour toi, que pour moi. Prends ton temps et essaie de te souvenir. Le moindre détail."

Olm laissa courir son regard de belette sur le miteux et le bordélique qui l'entourait et ajouta :
"Si tu as quoi que ce soit, ici, qui t'aurait été offert ou amené par cette personne... Une ghilde, peut-être ?"

Abion accepta le thé avec joie. Infect pour les papilles de Sherrinford, il était ce qu'Abion avait de mieux et probablement tout ce qu'il avait connu jusque là. Il tenait la tasse chaude entre ses deux mains et après deux gorgées il retrouva enfin son calme et pu commencer son récit.

"Il y a deux ou trois jours, je ne sais plus exactement quand, je me suis rendu à l'église des Trois Aciers du culte de Malachine, comme d'habitude. J'allais y prendre un contrat. Je voulais en finir de cette vie, mais je me disais qu'un dernier contrat simple devait me suffire pour pouvoir partir d'ici. Je me suis donc rendu au confessionnal et j'ai rencontré mon commanditaire. Un métropolite. Il semblait bizarre, pas comme les autres. Il avait une manière de parler très calme, je crois. Je ne sais plus très bien, c'est très flou. Dans tous les cas, il me donna immédiatement un ticket pour le transécryme et 50 liges pour aller voler les bobines de cuivre dans la halle ferroviaire. Il me promit 50 liges de plus une fois la marchandise transférée. Je me disais que cet argent, en plus du ticket, pouvait me servir non seulement à partir de ce trou maudit, mais en plus de payer les soins dont ma mère à tant besoin. On aurait pu partir à deux, s'installer à Venice, voire même à Éole, à l'autre bout de la toile, le plus loin possible de Méthalume...
Le contrat me semblait trop beau pour être vrai et je ne voulais pas l'accepter, mais je ne pouvais pas refuser. Non pas parce que l'offre était tellement alléchante, mais simplement parce que je ne pouvais pas. Je n'arrivais pas à dire non. Je ne sais pas pourquoi. Mon esprit voulait refuser, mais j'ai accepté. Les jours qui ont suivi étaient comme un rêve, j'avais l'impression d'être spectateur de mes actes et non pas acteur. Jusqu'à ce matin, sur la traverse, et que j'ai enfin pu partir. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé entre, c'est comme si je dormais et que je n'ai que quelques vagues souvenirs d'un horrible cauchemar...
Vous savez que je ne voulais pas faire ça. Je n'ai jamais fait de mal à personne. Je voulais seulement aider ma famille."

Les larmes commençaient à revenir, mais au moins il ne pleura plus comme auparavant.

Olm essayait de n'enregistrer que les informations essentielles. Son analyse lui suggérait que des sentiments affectaient le discours du jeune homme et il lui fallait les éluder pour le moment. Certes, la situation était difficile pour lui, mais si l'enquêteur voulait arriver au terme de son investigation, il lui fallait faire preuve de pragmatisme. Les informations. Uniquement les informations.

Quelqu'un avait commandité ce vol. Quelque chose d'étrange planait dans toute cette affaire. Olm avait la certitude que le jeune homme ne mentait pas et pourtant... Tout paraissait flou. Autant dans son discours que dans ce qu'il avait l'air de se souvenir. Deux ou trois jours avant, un métropolite singulier. Il fallait d'avantage de détails à l'enquêteur. Il connaissait l'emplacement de l'église des trois aciers, qui apparut dans sa carte mentale comme une croix sur une carte au trésor.

Pour amener cette histoire à terme, il fallait à Olm la coopération d'Abion. Avec un sourire de belette, l'enquêteur avança doucement :

"Nous allons dénouer cette affaire ensemble et essayer de t'aider à réduire ta peine, d'accord ? Tout ce que je te demande, c’est de rester calme et de te concentrer. Déjà, dis-moi qui t'a fourni la clef de la halle ? Il va me falloir aussi les noms de ceux qui t'accompagnaient. Les cinq. Pourquoi t'a-t-on fourni un ticket de transécryme et pour où ?"

Sherrinford laissa un instant à Abion pour répondre à ces questions et quand il l'eut fait, posa celle qui le démangeait :
"Est-ce que tu te souviens du visage de ce métropolite ? De sa voix, si tu ne l'as pas vu dans le confessionnal, ou d'un quelconque détail qui pourrait le trahir ? Comment savais-tu qu'il s'agissait d'un métropolite ?"

Quand il eut répondu, Sherrinford contracta la mâchoire, ses pensées en ébullition. La piste ne s'arrêtait pas là, il en était certain. Une chose, cependant, devait être mise au clair...

"Montre moi tes mains, Abion."

L'enquêteur les examina avec attention, à la recherche d'une trace de sang ou n'importe quoi qui n'ait pas pu être retiré par un lavage de ses mains. Un résidu entre les ongles, n'importe quoi. Il voulait savoir si c'était bien ce garçon qui avait assassiné le garde.

"C'est cet homme qui m'a donné la clé. Il me l'a glissée en même temps que le ticket et l'argent. Je ne sais pas pourquoi il m'a donné ce ticket. J'avais l'impression qu'il savait que je voulais partir." Machinalement, le jeune Abion prit le ticket pour le tendre à Olm, qu'il puisse l'inspecter. Le ticket semblait tout ce qu'il y avait de plus valide et indiquait une place dans le Transécryme, 3ème classe, pour Éole. Ce qu'Abion aurait aimé.

Abion se concentra encore davantage pour la suite "Je ne sais pas trop, le métropolite est flou dans mes souvenirs. Il ne semblait ni gentil ni méchant, ne dégageait aucune animosité. J'aurais plutôt dit une sorte de tristesse mélancolique. De l'amertume. Je ne peux pas trop expliquer pourquoi. Sa voix était neutre. Je ne le reconnaissait pas bien à travers la grille du confessionnal, normalement les commanditaires et clients ne se voient pas, c'est le but de la manœuvre. J'ai été tellement intrigué que j'ai essayé de voir. Il semblait serein, il savait ce qu'il faisait. Quelque chose était différent, chez lui. Ses gestes semblaient ne pas être en accord avec sa parole, semblaient être un court instant trop tôt ou trop tard, vous savez... Enfin... Je ne sais pas, ce récit ne semble pas faire le moindre sens, quand je le raconte, c'est assez confus, mais je vous jure que je fais de mon mieux !" Et Sherrinford savait qu'il avait raison. Il ne mentait toujours pas.

Abion montra ses mains au détective, mais elles étaient propres, ne montraient pas de marque de combat, de blessure ou autre. Abion n'était probablement pas le coupable du meurtre.
Le fait qu'il n'en ai pas parlé indiquerait même qu'il ne sait pas qui est le vrai coupable, mais il sait qu'un meurtre a été commis.
Abion donna également la liste des autres coupables en demandant de le disculper auprès d'eux tant que faire se peut. Il ne voulait pas que quelque chose n'arrive à sa mère malade.

Ainsi donc une église du culte de Malachine était touchée par cette affaire. Ce n'était guère étonnant compte tenu du fait de sa toute-puissance dans la ville, mais cela rendait l'enquête d'autant plus dangereuse. Fouiller dans les zones d'ombre du culte était aussi dangereux que de mettre sa main à l'écryme devant un repère de hurleurs. On ne savait pas ce qui allait engloutir la main le premier. Il devrait faire preuve de beaucoup de vigilance s'il voulait connaître le fin mot de l'histoire.

Olm serra les dents. Une enquête auprès des Malachistes serait un tour de force. Il allait falloir jouer fine. L'enquêteur se redressa après avoir lâché les mains du jeune homme et dit calmement :
"Je vais garder cette clef et ce ticket de transécryme pour le moment. Agent Tom, je peux vous parler ?"

Sherrinford s'éloigna suffisamment pour parler avec le policier sans qu'Abion puisse l'entendre :
"Vous allez emmener ce jeune homme en détention et irez faire de même pour les cinq autres. Gardez les en détention pour questionnement, mais ne faites pas savoir à qui que ce soit qu'ils sont là parce qu'ils ont volé les bobines. Ni vous, ni moi, ne voudrions que ces six imbéciles prennent pour le véritable cerveau de toute cette opération, n'est-ce pas ? J'aimerais pouvoir les voir et déterminer lequel a assassiné le garde. Il ne s'agit pas d'Abion... Sous influence ou non, il s'agit toujours d'un meurtre. Malheureusement."
Après une pause, l'enquêteur reprit :
"Retrouvons nous pour le thé au 221 de la Baker Street, Dit-il en utilisant quelques mots d'un ancien patois. La rue des boulangers. Si je n'y suis pas... Eh bien c'est certainement que je me serai plongé dans quelques ennuis."
Avec son sourire de belette, l'enquêteur ajouta :
"Je tiens vraiment à interroger chacun de ces six voyous. Gardez les moi au chaud et en bonne condition."

Après ces quelques cachotteries, Olm revint vers Abion :
"Pour votre sécurité, il faudrait que vous accompagniez l'agent de police, d'accord Abion ? Avant de vous laisser partir, cependant, j'ai encore une question : quel est votre contact habituel au culte et... Par quel moyen vous reconnaissez vous ?"

L'agent acquiesça et confirma qu'ils allaient trouver une raison pour les inculper, cela ne devrait pas poser problème. Il trouvait le détective singulier : non seulement il avait un style bien particulier, mais en plus de cela il lui arrivait de parler dans un argot qu'il ne comprenait pas. Pourtant il lui semblait bien qu'il soit de Méthalume.

Abion lui répondit à sa dernière question "Je n'ai pas de nom. Le culte ne se mêle pas de cela, que je sache. D'après les rumeurs, l'alachine Tarendil enregistrerait les conversations, mais je n'en ai aucune preuve, je n'ai jamais rien vu qui pourrait lui permettre de le faire. Et personne n'ose confronter un alachine sans preuve tangible. Et même avec toutes les preuves du monde, ce serait une entreprise risquée. Quand nous avons un nouveau contrat, nous recevons une petite plaque de métal, d'argile ou autre, souvent un morceau ramassé dans la rue, sur lequel sont gravés le jour et l'heure de la rencontre, rien de plus. Nous jetons ensuite la missive dans l'écryme pour être certain que personne ne puisse la retrouver. Je ne sais pas non plus qui me ramène ces missives. Certainement le membre d'une ghilde, mais impossible de savoir qui ou laquelle. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner plus de détails. En général les rendez-vous se font en plein milieu d'un poste de nuit, quand l'église est quasiment vide et que les prêtres sont dans leurs dortoirs."