1er Flashback - Sherrinford : L'église des trois aciers - Terminé

Plus que quelques pas séparaient Sherrinford de la halle ferroviaire, proche des quartiers limitrophes à l'écryme. Un immense vol y a été commis : plusieurs centaines de kilogrammes de bobines de câbles de cuivre y ont été volés. Cela a non seulement paralysé un train en partance pour Endémine, mais aussi alerté les ministères et les Loges. La Loge de l'Étaincel travaillait sur un projet de train électrique à présent compromis. Elle met la pression sur les ministères et accuse des konzerns qui, bien sûr, prônent leur innocence. Les ghildes devraient être hors de cause étant donné qu'elles n'y ont aucun profit. Le ministère a donc décidé de payer les services de Sherrinford pour enquêter. Un franc-détective neutre devrait pouvoir apaiser les esprits de tous les partis concernés. Ou du moins assez longtemps pour en découvrir le dénouement avant que n'éclate une guerre politique.

Dans les derniers jours, deux autres sites ont été pillés de leur cuivre. D'abord des éoliennes dans le quartier de la Poutre ont été laissées en vrac et privées de leur câblage. Le coupable a rapidement été trouvé, il s'agissait d'Abion et sa bande de petites frappes, une vague nuisance plus qu'un réel soucis. Les câbles ont été retrouvés chez lui, avant qu'il n'ai pu les revendre. Apparemment, d'après les dernières nouvelles, il se serait bien calmé et n'aurait plus commis de délit suffisamment notoire pour que la police ne le prenne au sérieux, à défaut d'avoir entièrement arrêté ses agissements néfastes.
L'autre site était le sémaphore de Bénévent auquel on a volé plusieurs dizaines de mètres de câbles. D'après le télégraphiste, il ne s'agissait probablement que d'adolescents qui voulaient prouver leur valeur afin d'entrer dans une ghilde. La police serait encore en train d'enquêter sur le vol et n'a pas encore retrouvé la marchandise, cependant.
Des rumeurs circulent à présent dans les quartiers proches des vols commis. Outre les suspects habituels - à savoir les Loges, ghildes ou konzerns - certains pensent au Lys Noir, un groupe terroriste traversier anti-technologique qui aurait ouvert une cellule à proximité de Méthalume et harcèlerait même déjà les traverses voisines. Comme toujours dans ces situations, il faut pouvoir discerner le vrai du faux pour découvrir la vérité.

Sherrinford était accompagné de deux policiers qui devaient lui servir autant d'escorte que de bras en cas de problème. Là aussi, il était fort possible - et probable - qu'ils ne servent qu'à rassurer les spectateurs de l'affaire. Le premier, Olo Tchevsky, avait la quarantaine bien avancée et perdait ses cheveux grisonnants plus rapidement qu'il ne voulait l'admettre. De taille moyenne et carrure normale, il était un monsieur tout le monde qui tentait tant bien que mal d'allonger sa vie en restant loin du danger inutile. Il ne parlait pas beaucoup, ce qui n'était pas pour déplaire au détective. Le deuxième s'appelait Tomá Pipko, un rouquin, âgé d'à peine une trentaine d'années, il était plus maigre mais agile et sportif. Il avait un regard froid et acéré qui en déroutait plus d'un.

Quand deux hommes s'étaient présentés à la porte de Mrs Udson, celle-ci avait réagit comme à son habitude. Elle l'avait ouverte. La porte, comme le reste. Parce que Mrs Udson, n'en déplaise à son locataire si friand du silence des autres, aimait parler. Elle aimait parler et elle aimait raconter, échanger, partager. Venus rencontrer le Franc-Détective Sherrinford Olm, c'est autour d'une tasse de thé à écouter cette gentille dame, que les deux policiers se retrouvèrent. Etrange matinée, pour eux. Pourquoi n'avaient-ils pas refusé ? Ou simplement ordonné de voir l'enquêteur ? Ils n'en savaient rien. Cette dame souriante avait quelques pouvoirs surnaturels, ils en étaient convaincus. Après une petite demi-heure, un grincement se fit entendre dans les étages supérieurs et, les yeux pochés, un jeune homme aux cheveux noirs et bouclés était apparu. Qu'il soit descendu vêtu d'une robe de chambre plutôt que dans son plus simple appareil n'était certainement qu'un coup de chance. Il était appuyé contre le chambranle de la porte, les yeux plissés par la fatigue et la tête appuyée contre la paroi métallique.  

« J'ai senti le thé... avait-il dit d'une voix qui aurait pu être enchanteresse, avec ses tons graves et rauques, mais qui était complètement cassée et portait des effluves d'alcool.  

- Oooh, Sherrinford, dans quel état vous êtes-vous encore mis ? s'était exclamée Mrs Udson. »

L'enquêteur ne dit pas un mot, mais attrapa une tasse qu'il secoua sous le nez de sa logeuse qui le servi avec un soupir.  

 

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Les échanges avec les policiers se réduisirent au plus simple : Sherrinford savait pourquoi ils étaient là et il n’avait aucune envie de s’étendre sur le sujet à ce moment. Il avait reçu un télégramme le jour d’avant, lui expliquant que des policiers l’accompagneraient aujourd’hui pour assurer sa sécurité. S’ils s’étaient présentés, Sherrinford avait oublié leurs noms. Qu’elle importance, après tout ? Il avait leur fonction, c’était bien suffisant. Le premier avait la quarantaine, taille moyenne, carrure normale. Il avait l’air d’un dur à cuir. Sur le papier. Dans sa démarche et la manière dont ses yeux papillotaient d’un détail à l’autre en cherchant tout ce qu’il pourrait fuir, Sherrinford devina qu’il n’avait dans le cœur pas une once de courage. Le second était plus jeune et au regard de glace. S’il devait arriver quelque chose, lui serait là pour s’opposer au danger. Bêtement. Et maladroitement. Il n’avait certainement jamais connu de réel conflit, son uniforme le protégeant de cette éventualité. Il se voyait cependant écraser sous sa botte quelques criminels et délinquants. Sherrinford savait que si une véritable rixe devait avoir lieu, ce serait sûrement le policier qui finirait dans cette position...  

Quoi qu’il en soit, ils pourraient lui ouvrir des portes et c'était tout ce que l’Enquêteur attendait d’eux : qu’ils lui fassent gagner du temps. Sherrinford et les deux uniformes firent le chemin jusqu’à la halle ferroviaire en fiacre. C’est là-bas que débuterait son enquête. Durant le voyage, les deux policiers lui firent un point sur la situation et sur les différents vols similaires qui avaient eu lieu ces derniers temps. Sherrinford les laissa terminer, mais connaissait déjà la plupart de ces informations. Le 221 de la rue des boulangers accueillait chaque matin le crieur public qui faisait son office non loin. Mrs Udson lui offrait effectivement le café et discutait avec lui des informations. Souvent, Sherrinford se levait à cette heure-là pour lire la plaque d’information et discuter lui aussi avec le crieur. Sinon, Mrs Udson lui faisait un résumé. Elle avait fini par comprendre ce qui intéressait l’enquêteur et passait outre les informations superficielles.  

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La halle ferroviaire était un ramassis de ferraille au milieu d’un plus grand ramassis de ferraille. Méthalume n’était pas une belle ville. C’était une ville de vapeur et d’acier. Une ville qui crachait un air plus vicié encore que celui du plus vieux fumeur. Quand ils arrivèrent sur les lieux, Sherrinford plaça son chapeau sur la tête et avança à travers cette étrange garrigue de rouille. Il savait que personne ne l’attendait ici pour le guider, mais il savait déjà globalement où se rendre. La ligne pour Endémine avait été coupé et celle habituellement utilisée se trouvait plus au nord.  

En chemin, il se tourna cependant vers ses deux comparses :

« Vous savez où a été commis le vol exactement ? Quand on y sera…  ne touchez à rien. »

C’était autant pour leur propre bien que pour celui de son enquête.

Le jeune Thomas répondit immédiatement au détective "Oui, c'était là devant, venez, je vous montre". D'un pas vif il entraîna Sherrinford à travers la halle. Elle était immense, le plafond voûté se trouvant à des dizaines de mètres plus haut. De grandes locomotives et des wagons étaient garés sur des rails, en attente de chargement ou de réparation. C'était tout bonnement immense, à l'image même de Méthalume. Des pièces détachés traînaient ça et là, des engrenages s'empilaient par endroits et de grandes étagères à échelles regorgeaient de quincaillerie diverse. "Les bobines se trouvaient à l'arrière, dans la partie réservée au fret" continua le policier.
En s'approchant du lieu du crime, pour respecter la demande de Sherrinton, l'agent montra simplement à quelques pas de là un corps par terre, mort, un mousquet à la main "Il a été retrouvé comme ça. Apparemment il a pu tirer un coup qui aurait fait mouche, il y a du sang à quelques mètres de lui. Je vous laisse inspecter."

L'homme, un garde de nuit, est mort en prenant un coup de couteau dans la gorge. Le pauvre a dû agoniser. L'entaille n'était pas très nette et vu son angle, l'attaquant ne devait pas savoir ce qu'il faisait. Un assassin n'aurait pas agit de la sorte. Un véritable assassin n'aurait même pas eu à le tuer vu qu'il était seul. Vu la tache de sang résultant du tir de mousquet, il devait y avoir plus d'une personne, sinon le garde se serait défendu mieux que cela. En plus de cela, la quantité de câble volé était énorme, ils devaient forcément être plusieurs, même avec un moyen de transport adapté. Ils devaient forcément être visibles.

La halle ferroviaire était à l’image de Méthalume : un mastodonte d’acier. Elle s’étirait, allongée dans le cœur de la cité, couverte de ferrailles. Les poutres s’entrecroisaient et tout y était chaos organisé. Le mouvement des structures métalliques qui transportaient marchandises et voyageurs était un éternel ballet assourdissant. Dans la zone où se trouvait Sherrinford, les trains manœuvraient principalement pour se placer sur leur quai de départ. L’enquêteur naviguait dans cette mer agitée, le regard perdu dans toute cette merveille de mécanique et d’architecture. Partout, les éternels travaux qui faisaient vivre cette jungle de ferraille, avaient laissé au sol des tourets et ce qui pourrait laisser penser à des déchets pour un néophyte, mais qui aux yeux d’un professionnel représentait les nombreux matériaux qui étaient utilisés dans la halle. Des matériaux qui pouvaient coûter cher.

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Le policier amena Sherrinford jusqu’à une scène tristement banale : un homme, allongé au sol, la gorge ouverte. Il avait soufflé son dernier soupir plusieurs heures plus tôt, seul, dans l’ombre de cette structure massive qui le séparait du ciel. Le détective dût s’arracher à sa contemplation de l’architecture complexe, pour la reporter sur ce spectacle lamentable. Cette peinture de la vie, représentée par la mort.  

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Comme à son habitude, l’enquêteur commença avec ce qu’il maîtrisait le moins : le corps. La médecine légale tout comme son homologue pour les vivants n’avait jamais vraiment intéressé Sherrinford. Ou plutôt, elle l’avait intéressé et il s’imaginait s’y plonger, mais chaque fois, c’était l’image de son frère qui lui apparaissait. C’était lui le médecin et jamais Sherrinford ne pourrait le dépasser sur ce sujet. Rivalité fraternelle... éternelle vérité qui a coûté à Abel. Le pauvre homme avait été découpé grossièrement au niveau de la gorge. Travail d’amateur. Sherrinford nota mentalement la position dans laquelle se trouvait le corps, avant de soulever son bras pour inspecter le mousquet. Il fouilla ensuite le garde à la recherche d’un porte-feuille qui pourrait lui donner son nom et le tendit au policier.

“Ce sera à vous d’annoncer ça à qui de droit.”  

Je me redressai alors, pour observer la scène dans son ensemble. Les assaillants devaient être plusieurs et le garde a fait une erreur. Il n’a pas su lequel choisir. Il a tiré en hésitant et n’a fait que blesser l’un d’eux. Un. Deux. Trois. Quatre pas. La trace de sang du blessé n’était pas très éloignée du garde. Surprise. Peur. Des deux côtés. Ils viennent récupérer le butin, ils sont surpris. Ils s’attaquent au garde mais l’un d’eux est blessé... Sherrinford essaya de jauger le sang qu’avait dû perdre le blessé, pour savoir s’il avait pu s’éloigner beaucoup, puis se dirigea vers le lieu du vol en observant le sol. Il cherchait des traces. De sang, de bottes, n’importe quoi. S’ils avaient volé un si grand nombre de fils de cuivre, ils devaient être nombreux et véhiculés. Un véhicule ne passe pas sans laisser au moins une trace. Là, il était dans son domaine. Les détails. Il cherchait la moindre petite piste. Le moindre objet qui ne semblait pas à sa place.  

Si le véhicule en lui-même n’avait pas laissé de traces de son passage, un chemin avait dû être dégagé dans les différentes ferrailles et matériaux laissés à même le sol. Les voleurs étaient nombreux, ils avaient déjà fait preuve de leur amateurisme avec un mort inutile, ils avaient dû laisser d’autres marques de leur passage.

L'agent qui récupéra les effets personnels du mort les inspecta rapidement avec de les ranger dans une poche et acquiesça la demande du détective.


La tache de sang n'était pas des plus importantes et il n'y en avait pas d'autres, le tir n'a pas du faire plus de dégâts qu'une blessure superficielle qui a visiblement pu être rapidement bandée, probablement par un morceau de vêtement, pour empêcher le sang de couler.

La suite de son enquête était bien plus facile : suivre des amateurs était un jeu d'enfant. Ces malfrats ont laissé des traces partout, au point qu'il était justifié de se demander s'ils ne l'auraient peut-être pas fait exprès. Entre les objets brisés, écorchés, griffés ou renversés, ils pouvaient être suivis à la trace une fois passé le quai de chargement.
Les traces menaient vers un grand portail servant au transit de la marchandise entre la halle ferroviaire et l'extérieur. Le portail était certes fermé, mais non verrouillé.

Ca n'était pas une piste, mais un parcours fléché, que Sherrinford suivait. Il avait l'impression qu'il était écrit au sol par où les voleurs étaient entrés. Il suivit leur amas d'erreur jusqu'à la grande porte, en se demandant pourquoi on avait fait appel à lui. Ces policiers, aussi inexpérimentés soient-ils devaient être en mesure de suivre une piste aussi aisée, non ?

Il observa le grand portail qui n'était pas verrouillé, puis le poussa doucement.

"Vous savez si quelqu'un d'autre patrouillait ici ? Il me semble bien imprudent de laisser ce portail ouvert, quand il est sensé protéger une cargaison aussi importante..."

"C'est étrange, j'en convient" répondit le plus jeune agent, interloqué.
"Je ne pense pas non plus que le portail soit ouvert en temps normal" continua le plus vieux, qui fit entendre sa voix rauque pour la première fois de la soirée "je me demande s'ils n'avaient pas peut-être la clé, tout simplement."

Sherrinford sourit, quand le plus vieux avança l'explication la plus sensée et la plus simple. Le rasoir d'Ockham. Il hocha la tête. Effectivement, il avait déjà pensé à cette éventualité, mais préférait laisser le policier s’enorgueillir de ses déductions. Une flatterie, avait déjà remarqué l'enquêteur, était souvent plus efficace que la vérité, dans les relations humains.
"C'est bien vu. Vous savez qui gère cette partie du triage ? Nous pourrions possiblement avoir les noms des personnes qui étaient au courant de la présence de ces bobines ici."
Sherrinford continua cependant son enquête de terrain en observant si, de l'autre côté du portail, quelque chose attirait son regard.

"Je vais voir le bureau du personnel, Monsieur, les entrées devraient y être inscrites" lança le jeune policier qui prit la demande du détective comme une mission personnelle.
"Je vais voir s'il manque des clés" renchérit le plus âgé sur un air un peu monocorde.

Quand Sherrinford examinait la porte, elle ne présentait pas de signe d'effraction. La piste de la clé semblait donc tout à fait plausible. A l'extérieure, cependant, la traque du chargement allait s'annoncer bien plus compliquée : le sol ne présentait pas de marques de passages et la rue était plus large que la plupart des autres de Méthalume, pour permettre le passage des marchandises plus volumineuses.
Des habitations se trouvaient en face du portail, à quelques petits mètres de là. Certaines bâtisses servaient de traboules et trahissaient la surpopulation de Méthalume qui semblait se tarir dans cette partie de la ville.

Après avoir laissé les policiers s'éloigner, Sherrinford observa un instant les différentes habitations, notant celles qui lui paraissaient le plus à même d'avoir pu être spectateurs de ce qui était arrivé. Il réfléchit aussi rapidement à la propagation du son et au positionnement des différentes maisons. Lesquelles n'avaient absolument pas pu rater le coup de fusil ? A l'heure du crime, ils devaient être nombreux à être rentrés, si le marteau de l'alcool n'avait pas frappé.

L'enquêteur nota ces détails et s'avança vers les habitations. Après avoir soupesé sa canne, il frappa avec contre l'une des portes métalliques. Il n'avait aucunement l'air d'un policier et ceci pouvait être un avantage comme un inconvénient.

La rue était relativement déserte, quelques badauds passaient de temps en temps et s'étonnaient de l'accoutrement singulier du détective dans un quartier comme le leur.
Les coups de Sherrinford raisonnèrent lourdement dans la rue.
Au bout d'un instant qui paraissait interminable, un homme âgé ouvrit lentement la porte. "Oui ? C'est pour quoi ?" hurla-t-il, à moitié sourd.

Sherrinford soupira, regarda autour de lui, mais finit par se résigner :
"Bonjour, monsieur, je me présente, je suis monsieur Olm. J'ai quelques questions à vous poser, serait-il possible d'entrer ?"

Maigre, sec et courbé par les rhumatismes, le vieil homme fit entrer Sherrinford. Il avançait doucement, boitant de la jambe droite. Le majeur et l'annulaire lui manquaient à la main gauche et vu l'état des moignons, il s'agissait certainement d'un accident de travail. Le vieillard semblait être une force de la nature. Dans un environnement comme ces bas-quartiers de Méthalume, rares sont les personnes qui vivent très vieux.

"J'aime beaucoup votre chapeau, mon garçon. Vous seriez pas un Métropolite ? Vous savez, j'ai travaillé dans la Propagande pendant quelques années, quand j'étais plus jeune. Je devais avoir votre âge, environ. Mais j'ai arrêté, je préférais bouger. J'ai passé un certain temps sur les traverses. Finalement j'ai atterrit ici, à Méthalume, et je travaille dans la fonderie du centre. J'aime bien ce travail, ça me rappelle ma jeunesse. Vous avez de la chance, je suis en train de me préparer pour aller à mon poste, justement. Qu'est-ce que je peux faire pour vous, mon garçon ?"

Pendant que le vieil homme déblatérait quelques banalités, Sherrinford observa l'intérieur avec attention. Il cherchait des signes que d'autres personnes vivaient ici. Il tendit l'oreille, pour entendre ce que l'on pouvait percevoir depuis l'intérieur. Le vieillard était à moitié sourd et n'avait certainement rien entendu. Cependant, il avait pu voir quelque chose. Une fenêtre donnait vers l'extérieur et sur le portail. Il avait pu apercevoir les voleurs ou au moins quelque détail qui pourrait servir à l'enquête.

"Un travail difficile, mais essentiel, dans notre cité. C'est tout à votre honneur, dit Sherrinford en prenant place sur un vieux fauteuil. Je ne suis pas un Métropolite, non. Je suis enquêteur. Quelqu'un est mort, je cherche des réponses. Etiez-vous ici, hier soir ? Entre 21h et minuit ?"

Quand le vieil homme hocha la tête, Sherrinford ne le laissa pas se lancer dans un monologue et enchaina :
"Vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel ? Peut-être un groupe de personne entrant par le portail de la halle ferroviaire ? Avec un véhicule ? Une charrette, n'importe quoi ? Un coup de feu a été tiré, peut-être avez-vous entendu quelque chose ?"

Face aux question de Sherrinford, le vieil homme resta un instant coi. Ce qu'il venait d'entendre était terrifiant et il n'en revenait qu'une telle atrocité ai pu être commise juste sous sa fenêtre "Je n'ai effectivement rien entendu, mon ouie n'est plus la meilleure, vous savez, avec tout le bruit quotidien des usines, je peux m'estimer heureux de ne pas être complètement sourd. C'est le cas de mon ami Diepolt, on a travaillé de nombreuses années ensemble dans les laminoirs du quartier des Poutres, aujourd'hui il n'entend plus un traître mot de ce qu'on veut lui dire. Le pauvre, ça me fait de la peine pour lui. Je l'aimais bien, mais ça fait quelques années qu'on s'est perdu de vue. Je devrais peut-être le recontacter, prochainement, ça lui ferait certainement plaisir aussi. Je n'ai vu personne entrer non plus, vous savez, je ne regarde pas toujours par la fenêtre, j'ai pas mal de choses à faire dans ma petite demeure. Enfin, techniquement je n'en ai pas tellement, mais je mets malheureusement plus de temps pour le faire aujourd'hui, comme vous voyez, je ne suis plus de toute jeunesse, haha. Par contre c'est vrai que j'ai vu quelque chose en sortir. J'étais déjà couché, mais j'ai dû me relever pour un besoin pressant. Vous comprenez, à mon âge, on a plus autant le contrôle de ses sphincters, je dois aller au pot régulièrement. J'en emmène même un au travail pour ne pas perdre trop de temps sur ma production. Enfin, je ne l'emmène pas de chez moi, je le laisse au travail, c'est plus simple, je m'évite le transport. J'ai donc vu plusieurs personnes sortir de la halle ferroviaire et ils poussaient et tiraient de grands chariots remplis de marchandise, ça ressemblait à de grosses bobines, c'est ça que vous cherchez ? Je les ai vu se diriger vers la direction de l'extérieur de la ville, vers l'écryme, en suivant la route large. Je pensais simplement qu'ils avaient une livraison à faire et qu'ils profitaient des heures tardives plus tranquilles, vu que de jour les rues sont tellement bondées que c'est difficile parfois de faire voyager la marchandise d'un point de la ville à un autre. Je me disais même que c'était une bonne idée mais je plaignais ces pauvres âmes de ne pas pouvoir se reposer la nuit. Je sais que beaucoup dorment de jour, on a pas le choix à Méthalume, mais je vous avoue que c'est meilleur de nuit. Je trouve qu'on s'y repose le mieux. Vous ne pensez pas ?"

"Tout à fait, rien de mieux qu'une bonne nuit de sommeil, répondit Sherrinford en repensant à sa nuit presque blanche... Est-ce que vous auriez à tout hasard noté un détail, reconnu un visage ? Un symbole ? Combien ils étaient, peut-être ? Et avec combien de chariots ?"

De temps en temps, Sherrinford jetait un regard vers l'extérieur, pour voir si les deux comparses s'en revenaient de la halle.

"Ah non désolé mon garçon, je n'ai pas vu de signe distinctif. Par contre, ils était 5 ou 6, peut-être 7, et ils poussaient et tiraient deux grands chariots avec de grosses bobines dessus. Elles étaient bien chargées. Ils semblaient avoir du mal à bouger tout ce fatras, je me disais qu'ils allaient se faire mal au dos, comme ça. Vous savez, quand on a de lourdes charges à déplacer, il faut toujours porter avec les jambes, pas avec le dos. Vous pensez bien que si j'avais porté avec le dos, je ne serais probablement plus là, aujourd'hui. Il faut toujours faire attention à sa santé, mon garçon, croyez-moi, même si c'est pas toujours facile à Méthalume. Je sais que vous les jeunes vous avez tendance à ne pas faire trop attention, on y pense pas à la vieillesse, quand on est dans la force de l'âge, ah je regrette ce temps, tout de même... Je ne faisais pas suffisamment attention non plus, quand j'avais votre âge, mais je me suis rendu compte de l'importance de la sécurité quand j'ai perdu mes pauvres doigts. Je vous le dit, si j'avais fait plus attention plus tôt, je serais encore en bien meilleure forme aujourd'hui. Par contre, je suis désolé, mais je vais devoir vous demander de partir, vous savez, je dois aller au travail. Normalement vous pourriez encore rester un peu, je vous aurais servi quelque chose à boire et à manger, mais je ne me déplace plus aussi vite maintenant, vous savez, avec l'âge, c'est plus aussi facile. J'étais vraiment en bonne forme quand j'avais votre âge, vous savez, un véritable athlète, mais le temps et le dur travail des usines méthalumiennes ont fait leur œuvre sur mon pauvre corps. Faites attention mon garçon, prenez bien soin de vous, vous verrez, vous repenserez à moi dans quelques années."

Quand Sherrinford jeta à nouveau un œil par la fenêtre, il vit l'un des policiers passer la tête par l'un des vantaux du portail, l'air interrogatif. Il se demandait certainement où avait pu passer le détective.

Sherrinford se leva en même temps que le vieil homme et attendit que celui-ci se déplie malgré son mal de dos. Quand enfin, il fut redressé, l'enquêteur le remercia chaleureusement et se fit raccompagner jusqu'à la porte. A l'extérieur, il avisa les deux policiers et s'avança vers eux.

"Alors ? demanda-t-il simplement."

Le plus jeune, Thomy, pris la parole en premier, comme d'habitude "Les notes d'entrée de marchandises sont en ordre. Les bobines disparues sont venues il y a trois jours de la production du quartier est de la ville, il était bien en partance pour Endémine. Donc, logiquement, tout le personnel affecté au fret devait être au courant."
Le plus vieux Volo, de son côté, constata effectivement une clé manquante dans la réserve. Ceci étant dit, la liste des sorties est à jour et le dernier à avoir sorti cette clé, était le garde assassiné. Il l'avait sortie quelques jours auparavant, un peu avant la fin de son poste, le matin. Peu de clés ne sortaient, en règle général, car les personnes avaient des clés personnelles. L'armoire à clés semblait servir principalement pour des nouveaux venus, des oublis ou autres instances exceptionnelles. Dans tous les cas, le garde faisait partie des personnes autorisées à se servir dans l'armoire à clés.

Pendant qu'il écoutait ce qu'avaient à lui apporter d'informations les deux policiers, Sherrinford réfléchissait à la route que lui avait indiqué le vieil homme. 6 ou 7 personnes, poussant deux chariots sur la route large... Ils avaient dû être aperçus. L'enquêteur ouvrit le plan mental qu'il avait de la cité, réfléchissant aux lieux qui permettraient de cacher deux chariots discrètement, sur la rue large. Il les nota en même temps qu'il avançait avec les policiers vers la halle.

"Très bien, dit Sherrinford avant de s'adresser au vieux policier : allez voir le contremaître, il me faut les noms de ceux qui sont absents ce matin. Votre collègue et moi allons descendre la rue large. Rejoignez-nous ensuite. "


Il était peu probable que le coupable soit un employé du fret, mais il valait mieux en être certain. De plus, le vieux policier serait plus efficace à chercher des informations qu'à essayer de nous défendre s'il fallait en arriver là.

Volgo acquiesça et se mit en marche. Il allait devoir attendre un peu, le temps que le contremaître commence son poste, mais avoir un policier de garde sur place n'était pas la plus mauvaise idée. Décidément, Sherrinford méritait sa notoriété.

Accompagné de l'aussi jeune que roux Thômé, il se mit en route à la suite des bobines volées. Ils arpentaient ensemble et d'un bon pas la large rue qui ne tarda pas à rejoindre le cercle extérieur de la ville. De là, ils pouvaient rejoindre l'écryme, le port des aérostats, d'autres usines ou simplement d'autres traverses.

Le cercle extérieur. Toute la misère de la cité associée à ses plus grandes beautés. L'écryme. Mer acide, paradis mortel, abysse insondable. Les murs d'habitations qui semblaient ne jamais s'arrêter se trouaient ici suffisamment pour pouvoir apercevoir le ciel et sous lui, cette étendue aux couleurs ondoyantes. Le soleil s'était levé depuis seulement quelques courtes heures et les rayons qu'il pleurait sur le monde tombaient en des puits lumineux à travers les nuages lourds. Des flaques d'ambre ondulaient à la surface de la marée d'émeraude. Sherrinford s'arrêta après les portes de la cité, pour observer ce spectacle étincelant. Peu de choses touchaient son coeur et son âme, mais le spectacle de cette monstruosité dévorante qui brillait de milles feux était à ses yeux le plus doux des spectacles. Le plus aigre et le plus doux des paradoxes. L'écryme était une plante carnivore. Elle attirait votre oeil plus efficacement que n'importe quelle peinture, pour vous dissoudre plus facilement que n'importe quel acide. Quelques pas vers elle, c'est tout ce qu'elle demandait. Elle hurlait de la rejoindre. Elle hurlait sa peine larmoyante.

La fine pluie qui tombait éclatait la surface en cercles concentriques desquels s'échappait une petite fumée blanche. Mille et mille feux, qui s'allumaient, éphémères, à la surface de la plus dangereuse des mers. Mille et milles larmes, qui disparaissaient, dissoutes par la plus belle des étendues.

Sherrinford soupira et détourna les yeux de ce spectacle morbide et somptueux. Il réajusta son chapeau et regarda le policier :
"Bien, nous savons qu'ils sont passés ici, mais de là, nous n'avons aucune idée d'où ils ont pu se rendre. Je vais aller frapper aux portes de ce côté, faites de même de l'autre. On se retrouve quand on aura fait le pâté de maison. Demandez s'ils ont aperçu 6 ou 7 personnes transporter des tourets sur deux chariots cette nuit aux alentours de 23h. S'ils se souviennent d'un visage ou de quoi que ce soit qui permette de les retrouver."

Khômé s'exécuta sur le champ et commença à prendre les informations qu'il pouvait trouver auprès des habitants alentours.
Sherrinford en fit de même et ils mirent pas longtemps avant d'apprendre que le groupe de voleurs était en direction de l'écryme.

Ils allaient prendre la route dans cette direction quand un autre policier arriva en courant par la même voie qu'eux-mêmes avaient emprunté.
Il était à bout de souffle quand il leur donna la raison de sa venue "Bonjour... Nous... Avons... Retrouvé... Les... Bobines..." haleta-t-il douloureusement. Il reprit son souffle un moment avant de continuer "Nous avons retrouvé les bobines, elles sont sur une traverse qui mène aux seigneuries de Weinsert et Sankt Antha, elles ont été signalées par des passants. Après vérification, je suis venu aussi vite que j'ai pu. L'agent Olo est encore à la halle ferroviaire et attend le contremaître, comme demandé. Il ne devrait plus tarder, vu l'heure."

Sherrinford observa le policier qui venait d'arriver. Il l'écouta lui donner les dernières nouvelles en fonçant les sourcils. Cette affaire n'avait décidément aucun sens. Tuer quelqu'un pour finalement abandonner les bobines de cuivre...?
À moins que...
"Très bien, allez voir l'agent... Comment déjà ? Olo ? Vous avez besoin de vous reposer. Ensemble, trouver quelqu'un capable de faire l'inventaire. Je veux savoir ce qui a disparu d'autre que les bobines. Et faites venir une équipe pour s'occuper du mort. Il faudra qu'un médecin l'examine. "

Sherrinford se tourna ensuite vers le jeune policier qui l'accompagnait.
"Nous allons examiner les chariots... Je commence à penser qu'ils pourraient n'être qu'une diversion."

Sherrinford se mit en marche d'un bon pas,. Quelque chose lui disait qu'il était en retard et il n'aimait pas ça.

Accompagné du jeune officier, Sherrinford arriva sur le lieu des bobines. Sur la traverse menant aux seigneuries de Sankt Antha et Weinsert, elles ne se trouvaient qu'à quelques mètres de l'entrée de Méthalume, la traverse ne faisait que débuter. Elles étaient suffisamment loin de la ville pour ne pas éveiller les soupçons de la majorité des badauds, mais bien trop proches pour pouvoir être considérées comme hors de la ville. Elles étaient vraiment à un point de jonction ou pourrait avoir lieu une passation de propriété.
Habitué à la ville, Sherrinford ne s'égarait que rarement hors de cette dernière et était visiblement mal à l'aise sur la traverse, comme la majorité des citadins. A force d'être engoncés dans des maisons se chevauchant les unes les autres, les habitants avaient développé une sorte d'agoraphobie généralisée qui rendaient les traverses particulièrement inhospitalières pour eux.
Cependant, il ne pouvait nier la splendeur qu'offrait une vue aussi dégagée. Il voyait bien sûr encore les nuages de la ville-usine, mais le ciel se montrait de plus en plus ici.

5 policiers étaient sur place, surveillant les bobines, les alentours et bien sûr la personne aillant signalé la présence de la marchandise. L'homme, d'une quarantaine d'années, était habillé en tenue de travail. Il affirmait venir de la traverse et travailler dans la cité. Il semblait nerveux.