4ème Flashback - Deepika : Si les symptômes persistent - Terminé

Jets:

Le chemin jusqu'à Sankt Antha n'était pas de tout repos. Bien qu'habituée aux voyages sur les traverses, ces derniers jours étaient particuliers. Elle avait pour mission d'aller à Méthalume, d'où elle prendrait le Transécryme pour Venice. Elle devait cartographier la région, l'étudier, dans le but d'optimiser la troisième qui peinait à se construire. Son billet en poche, elle avait commencé son périple la joie au cœur, profitant du calme et de la splendeur que pouvaient offrir les traverses.

Récemment, arpentant des traverses de la première trame, elle rencontra de plus en plus de relais, hameaux et autres campements désertés. De ce qu'elle pouvait observer, les vivres manquaient de plus en plus. Une véritable disette sur la traverse.
Mais le pire l'attendait encore : elle vit, à quelques mètres dans l'écryme, deux corps pendus au-dessus de l'écryme, les pieds à quelques centimètres de la mer acide. Ou du moins ce qui restait des pieds : des hurleurs les avaient pris comme jouets et mangeoires. Elle pu d'ailleurs en apercevoir un sautant hors de l'écryme pour déchirer un nouveau morceau de chair. Cette vision troublant profondément Deepika qui ne pu se retenir de rendre son dernier repas. Cette vision horrifique hanta encore plusieurs de ses nuits par la suite.

Plus tard elle rencontra une caravane de marchands itinérants tués. Du moins, c'est ce qu'elle en conclut en voyant les affaires dispersées et les taches de sang. Il n'y avait pas de corps, probablement jetés dans l'écryme. En voyant la longue dague courbée briller au sol, elle prit peur et accéléra le pas, comme pour mettre le plus de distance entre elle et le lieu du crime.

Elle trouva refuge l'espace d'une nuit auprès d'une famille traversiaire mongole qui cultivait une bande de terre immergée d'une trentaine de mètres carrés au détour d'une traverse. Ils cultivaient des champignons, des mousses, possédaient deux pauvers chèvres rachitiques et collectaient chaque matin des fleurs d'écryme du haut de leurs échasses. Ils lui confirmèrent que des bandits de grand chemin rôdaient actuellement sur la traverse mais qu'eux-mêmes n'ont jamais eu de problèmes. Ils craignent plutôt la Propagande Lanskoise à cause de leurs ventes illégales de leurs pauvres récoltes. Les malandrins seraient apparemment des Eoliens ou Istaniens.

Après son départ, elle arriva enfin au duché de Sankt Antha. Il se trouvait à la jonctino de deux traverses concomitantes fusionnant pour former un gigantesque Y. Les trois extrémités sont fermées par de lourdes herses enchâssées dans des barbacanes. Les chaînes épaisses et le manque d'entretien des poulies font que le mécanisme grince terriblement lorsqu'il est actionné. La seigneurie est également protégée par un parapet.
Après avoir vérifié son identité, l'entrée lui fut accordée et elle put enfin s'assoir et se reposer un peu dans l'auberge de la seigneurie. Après une rapide pitance et un brin de toilette, elle se coucha dans le lit de sa chambre louée et s'endormit aussitôt.

Elle fut arrachée de son sommeil par le tocsin.

Deepika se sentait là où elle devait être, le plus souvent. Chaque nouveau jour apportait son lot de surprises lorsqu'on vivait à même les traverses.
Grâce aux arpentheurs itinérants qui l'avaient recueillie à une époque dont elle n'a plus le souvenir, elle s'est toujours sentie en sécurité, dans un esprit de partage et de respect d'autant plus observé les jours où ils manquaient de tout. Ainsi, elle fut mise à l'abri des guerres, les itinérants avaient su éviter les zones les plus dévastées. Une chance. La Toile sûrement qui avait su les guider hors de portée des tirs de mortier.
Pour survivre, chaque itinérant se rendait utile aux habitants des traverses. Aux plus démunis, comme aux plus puissants. Recevant de leurs services rendus, parfois quelques hurles, quelques sous, un repas, un toit où s'abriter ou un simple merci. Ils avaient parcouru l'Istanie d'est en ouest, puis avaient rejoint la célèbre Eole. Des souvenirs précieux pour un voyage hors normes.

A présent, elle devait faire ses preuves. Arpenter la Toile et supplier Sa bienveillance pour accomplir sa mission. Seule face aux réalités de régions, encore pour elle, inexplorées. L'horreur ne tarda pas à soulever ses viscères. La vue de ces pendus aux pieds rongés la prit par surprise. Elle avait oublié les consignes : se méfier des chemins désertés, ne poser le regard que sur ce qui est essentiel.
La nuit chez la famille mongole fut instructive, et lui confirma qu'elle devait se tenir à l'écart des méandres humains, ne répondre qu'à leurs demandes pour subvenir à ses besoins, ne pas se lier pour ne pas souffrir lors de leur mort prochaine.

La protection de Sankt Antha arriva à point pour qu'elle puisse se recentrer sur ses objectifs. La traverse qu'elle arpentait regorgeait de nouveauté morbides. Alors qu'elle prenait le temps de peigner ses longs cheveux bruns qu'elle avait gardés plusieurs jours et nuits tressés et cachés sous une étole, elle fut tentée d'aller observer les étoiles. Mais sa profonde fatigue l'en dissuada.


Un vacarme la réveilla en sursaut. Heureusement, elle ne dormait que entièrement habillée, habituée au manque d'intimité de la vie nomade. Elle n'eut qu'à replacer son étole sur ses cheveux, et à enfiler ses bottes pour connaitre la raison de ce réveil brutal.
Si il y a une fenêtre dans sa chambre, elle va essayer d'observer ce qu'il se passe dehors.
Si il n'y pas de fenêtre ou si il n'y a rien à observer, elle sortira de sa chambre (et refermera la porte derrière elle) pour demander à la première personne croisée ce qu'il se passe.

En regardant par la fenêtre, elle ne put voir grand chose d'autre que des citoyens affolés en train de courir. À quelque distance de là, elle entendait néanmoins des tirs d'armes à feu. Ils n'étaient pas encore dans les remparts de Sankt Antha, mais ils n'en étaient certainement pas loin.
En passant la porte, elle vit une autre femme "Vite, vous devez nous aider, il faut mettre les autres à l'abri, surtout les enfants ! Nous sommes attaqués !"

Deepika comprenait à peine ce qui se passait. Elle fut prise dans le flot du tohu-bohu environnant plus qu'elle ne décidait vraiment de ses actes.

Une attaque ? Elle eut aussitôt d'étranges sensations nauséeuses qui l'engourdirent. Certainement le fait de vieux souvenirs enfouis, sentant encore la peur et la douleur. Mais si la Toile souhaitait éprouver son courage, elle ferait face à cette attaque. De cette femme paniquée, elle soutint son regard pour lui signifier qu'elle était prête à aider les enfants de Sankt Antha. Elle suivit cette dernière pour trouver les enfants, et l'endroit où les emmener.

Tout n'était que chaos. Encore incertaine de la géographie du lieu, fatiguée par le manque de sommeil, étourdie par le réveil en catastrophe, elle attrapa deux enfants et suivi la femme. Elles couraient à travers les ruelles, les hommes tentant de leur donner de la couverture. Au détour de l'une des ruelles, elle pu jeter un œil rapide sur la place centrale. Des corps gisaient déjà au sol. Des combats rapprochés étaient engagés sur la barbacane qu'elle put apercevoir et les coups de feu se rapprochèrent.
Elles arrivèrent finalement; haletantes, des larmes aux yeux pour la guide de Deepika, mais bien vivantes, dans le bâtiment qui servait de siège au duc. La pièce centrale était le lieu de rencontre quand le duc avait des annonces à faire au peuple et c'était le point de ralliement de la population en cas de catastrophe comme celle-ci. Le bâtiment était suffisamment renforcé et facile à défendre par la milice plus maigre que le duc n'osait l'avouer.

L'abri, bien que précaire car construit que pour le bien-être d'un chef, avait au moins le mérite de masquer les atrocités du dehors. Les hurlements se faisaient plus lointain...
Deepika observa la femme qu'elle avait suivi, inspira et trouva assez de courage pour sourire avec douceur. Elle entoura les deux enfants de ses bras et commença à raconter une histoire pour leur éviter d'attendre l'inévitable.

"L'Arentèle a ses propres ressources en elle, vous savez. Les hommes ont beau s'affronter, ils ne peuvent détruire la Toile bien trop multiple. Alors... soyons à son image, soyons-nous aussi multiples. Ne soyons pas que peur, soyons force. L'Arentèle guide l'Ecryme entre ses pattes, détourne ses courants, qu'elle soit vapeur, visqueuse ou liquide. L'Arentèle ne craint aucune des humeurs des corps... L'Arentèle nous protège, et nous nous protégeons les uns et les autres."

Tout en parlant, son regard alternait entre les yeux des enfants et de la femme. Pourtant, à quelques moments, l'arpenthe cherchait aussi une issue au cas où les murs ne suffiraient plus...

Les enfants, apeurés, écoutèrent l'étrangère. Ils ne comprenaient pas tout ce qu'elle pouvait bien leur raconter, mais étaient simplement reconnaissants que quelqu'un enlève leur attention des cauchemars qui sévissaient à l'extérieur.
La femme que Deepika avait suivit était sous le choc, elle aussi, mais tentait d'imiter Deepika tant bien que mal en racontant elle-aussi des histoires aux enfants qu'elle avait secouru.
Les réfugiés continuaient d'affluer dans la grande halle et maintenant que les femmes et enfants semblaient tous être là, des hommes commençaient à entrer, en commençant par les plus âges.
Des description commençaient à parcourir la foule : les premiers morts, les assauts sur les barbacanes, le nombre très fluctuant des assaillants, selon la personne originaire du fait raconté...
La tension était devenue palpable.

Les rumeurs dans la halle se mêlaient aux heurts de l'extérieur. Comme si la guerre et ses horreurs ne cherchaient qu'à entrer dans leur tête...
Quand les histoires racontées aux enfants ne pouvaient plus suffire à estomper la dure réalité, Deepika eut une lueur dans le regard. Elle interpella les uns et les autres au tour d'eux.

"Savez-vous tous prier ? Nous sommes le peuples des traverses, enfants de la Toile. L'Arentèle peut nous proteger, mais vous savez tous certainement une ou plusieurs entités à qui demander sa protection ! Nous pourrions prier pour les hommes et les femmes au dehors qui se battent pour protéger Sankt Antha. Prier pour nos enfants, pour nos anciens... Pour les murs de nos maisons... Allez... Prions, prions ensemble, que nos coeurs puissants sauvent le peu qu'il nous reste !"

La suggestion de Deepika trouva immédiatement écho auprès de plusieurs personnes présentes. Cependant, contrairement à l'arpenthe, ces personnes avaient une croyance différente. Deepika ne mit pas longtemps à se rendre compte qu'en fait il s'agissait de membres du culte de l'aragone, ou du moins partageaient-ils leur foi. Les membres de cette croyance étaient contre toute forme de technologie et étaient convaincus qu'un cataclysme prochain décimerait la population pour que l'histoire de l'humanité puisse recommencer depuis le début.

Pendant ce temps, le flot de réfugiés diminuait petit à petit. Les coups de mousquets à l'extérieur se faisaient également plus rares et même les premiers miliciens entraient dans la salle fortifiée. Ils ne devaient plus être très nombreux à l'extérieur.

Deepika ne fut pas fachée de voir les uns et les autres prier à leur façon. Ils étaient tous prêts à mourir, mais elle était certaine qu'ils pourraient au moins désirer mourir le plus rapidement possible. Elle les laissa donc se recueillir et s'isola un peu. Elle avait besoin de recentrer son esprit, pour éviter de céder à la panique. Elle ferma les yeux et imagina l'Arentèle et ses pattes se déroulant à l'infini, comme des fractales, son esprit survolant de plus en plus haut la Toile et ses magnifiques dessins.

Cette méditation eut un effet de courte durée. L'issue de cette aventure se faisait plus proche, les réfugiés moins nombreux... Bientôt les assaillants viendraient les cueillir ici.
L'arpenthe chercha à nouveau des yeux une issue, un renforcement, un coffre... pour y cacher quelques enfants peut être.

Alors qu'elle pensait à se terrer plus loin dans la grande maison du duc, les combats semblaient cesser à l'extérieur. Un long silence se fit durant lequel la tension était à couper au couteau. Le monde entier semblait retenir sa respiration en vue de ce qui allait venir.
Ils entendirent une personne crier, à l'extérieur. Elle n'aboyait pas des ordres, tentant plutôt de se faire entendre par un maximum de personnes. À l'intérieur du bâtiment, personne ne compris ce que l'homme disait.
À peine une minute plus tard, une jeune milicien fit irruption dans la salle du duc pour se faire le porte-parole de ce que l'ennemi venait d'annoncer "Nous sommes assiégés. Les attaquants nous laissent un délai de dix heures pour réunir la somme de dix mille liges, une partie pouvant être donnée sous forme de matière première et de vivres."

Après cette annonce anxiogène, un brouhaha commença à se faire entendre dans la grande salle. La foule risquait de bientôt céder sous la panique générale.

Deepika ouvrit de grands yeux. 10 000 liges ? Elle n'avait jamais vu autant de richesses réunies dans un même endroit. Comment ces gens allaient réunir cette somme faramineuse ?
A moins que le seigneur...? Elle s'approcha des conversations, pour entendre ce que pouvaient dire les uns et les autres suite à cette annonce.
Peut être que finalement, Sankt Antha possédait cette somme. Il valait mieux pour elle...

Dans le brouhaha ambiant, il était difficile de reconnaître des voies particulières et d'isoler de véritables conversations.

Elle put néanmoins, à force de concentration, déceler un premier homme qui déclarait que le duc devait accepter rapidement la demande faite et même abdiquer, ce qui ferait du bien à tout le monde, que c'est à cause de la technologie présente dans le duché que tout cela à pu arriver. Visiblement, il faisait partie des adeptes de l'aragone.

Un jeune homme, habillé comme un écuyer, scandait qu'il ne fallait surtout pas concéder à la demande de ces traîtres. Il semblait prêt à en découdre et tentait de rassembler d'autres personnes à sa cause.

Un autre, finalement, semblant être un noble marchand, déclarait que le mieux était de passer par des négociations. Il était certainement possible de raisonner avec les assaillants afin de réduire le coup, rallonger le sursis ou acheter toute autre situation qui serait préférable à celle annoncée.

Le duc, lui, ne s'était pas encore présenté à la foule. Il était en conciliabule avec ses conseillers pour savoir comment gérer la crise, mais ces derniers assurèrent qu'il ne tarderait pas à faire entendre sa voix.

L'ambiance ne s'améliorait pas. Et même si une issue était encore possible, on sentait bien que la plupart ici ne voudrait pas mourir bêtement... Elle-même n'avait rien à donner qui puisse peser dans la balance, elle n'avait pas non plus l’étoffe d'une combattante. Elle s'enquit tout de même de l'identité des attaquants auprès du jeune milicien qui avait fait l'annonce. Car si l'homme qui avait l'allure d'un noble marchand avait raison, encore fallait-il connaitre un peu plus les rançonneurs.

Jet:

Le jeune milicien se tenait encore prêt de la porte. Deepika laissa les deux enfants à l'autre femme et se fraya un chemin à travers la foule pour se rapprocher de l'entrée de la salle.
Une fois à ses côtés, elle lui demanda les renseignements concernant les attaquants.
D'après ses dires, il s'agissait d'Éoliens et d'Istaniens. Ils opéraient par groupes de cinq pour repousser les maigres forces de Sankt Antha. Autour de la ville il avait vu beaucoup d'échassiers portant des lanternes, ils étaient complètement encerclés.
Deepika se disait que c'était très bizarre que des Éoliens s'attaquent à une seigneurie sous la tutelle de Méthalume, ce la ne leur ressemble pas. Encore les Istaniens se trouvent plus proches, mais même eux ne risqueraient pas une guerre ouverte avec le Lansk pour une petite parcelle de traverse. Cela n'a pas de sens. Cette attaque doit avoir un autre but.
Parlant un peu plus pour lui-même, il dit "Je savais qu'on aurait dû garder la poudre, elle nous aurait bien servie, maintenant. On aurait jamais dû la vendre."

Jarik Antha, le duc, accompagné de sa fille Helena, fit alors son apparition dans la salle. Le calme se fit progressivement et il annonça qu'il ne tolérerait pas ce genre d'insulte envers la population de son duché. Il n'accepte pas que n'importe qui vienne et fasse des demandes comme il lui chante, s'imaginant que le duc allait simplement le lui concéder. Cependant, il ne pouvait nier la menace qui planait sur la seigneurie et il devait agir. D'après lui, ils allaient tenir ferme et ne pas céder à cette attaque qui ne pouvait qu'être du bluff.

"FOUTAISES !" cria alors un homme d'âge mûr un peu plus loin "Nous devrions les attaquer nous-mêmes et pas attendre qu'ils viennent, on va leur montrer de quel métal on est faits !"
Son intervention lui valu les acclamations de plusieurs personnes dans le public, notamment de l'écuyer.

Le prêtre de l'aragone, reconnaissable d'entre mille grâce à son accoutrement, tenta de calmer les ardeurs du combattant "Voyons, nous risquons de nous faire massacrer, vous avez bien vu ce qu'ils ont déjà fait à la milice. Ne vaudrait-il pas mieux concéder à leur demande, afin de préserver notre vie ?" Le vieil homme était visiblement fatigué et apeuré. Cette situation lui demandait certainement beaucoup d'énergie à son âge.

La foule était divisée parmi entre les diverses possibilités et le duc peinait à se faire entendre.
Se demandant l'argumentation qu'il pourrait bien avoir, Deepika se rendit compte qu'elle ne voyait plus le noble marchand de tout à l'heure.[/color]

L'arpenthe remercia le jeune milicien, avant qu'il ne scande avec les autres son envie de faire fuir les criminels au dehors. Voyant l'indécision du Seigneur local, elle se fraya un chemin pour le rejoindre et demanda à parler à ce dernier avec tout le respect dû à son rang.

Deepika se frayait un chemin à travers la foule agitée. La peur et le désespoir se lisaient sur la plupart des visages. La majorité était désemparée et des divisions se faisaient clairement sentir.
Arrivée devant le duc, déjà assailli par de nombreux habitants, il prit rapidement la jeune femme à part. D'après ses conseillers, un avis externe pourrait peut-être éclairer la voie. Certains autochtones ne semblaient guère enchantés par cette idée et dévisageaient Deepika, dans l'attente de ce qu'elle allait bien pouvoir dire ou faire.

Honorée d'obtenir si vite audience, Deepika salua d'un pas reculé et la nuque courbée le Seigneur de Sankt Antha et sa fille.

"Duc, je ne suis qu'arpenthe en mission, et l'Arentèle m'a montrée plus d'une fois qu'il était bon de développer plusieurs traverses, même si le but est d'atteindre l'exact même endroit. Duc, comprenez là ce que je vais vous détoiler... "

Elle ouvrit sa main, pour montrer sa paume au seigneur. Elle était parcourue de dessins sans apparente logique, des tracés s'éloignant et se rejoignant de manière chaotique. Puis elle prit un ton plus feutré, comme si il était nécessaire que personne d'autre que lui ne l'entende :

"Demandez à ce que ceux qui veulent en découdre, de dénombrer les combattants prêts à occire les assaillants, de faire l'inventaire des armes et protections nécessaires, et du nombre de vies minimum à offrir à l'Ecryme avant qu'il y ait capitulation."

Elle replia son index.

"Dites au Prieur de l'aragone d'inventorier les sources de richesses nécessaires pour satisfaire ce marché. Ressources ou monnaies... Ceux qui sont prêts à donner, et donner combien. Si 10000 liges sont réunies, connaitre ce qu'il restera à Sank Antha ensuite, si un autre groupe venait à rançonner à nouveau ce bourg."

Elle replia l'auriculaire.

"Enfin. Il y avait dans votre Halle, un seigneur marchand. Lui, voulait négocier. Mais... Mais il a disparu. Cela intrigue, n'est-ce pas, Duc. J'y vois deux causes principales : il est allé lui-même négocier sa survie auprès des vilains, identifiés à tort, j'en suis quasi-certaine comme des Eoliens et Istaniens. Ou bien, le seigneur manquant marche avec ceux qui ont fait couler le sang de vos miliciens."

Elle agita son pouce.

"Pendant que l'index et l'auriculaire sont occupés à vous faire rapport de situation, je vous propose de m'attribuer un de vos espions. Avec lui, j'irais voir de plus près ces malins dehors pour les identifier... Peut être que nous y retrouverons le seigneur marchand, aussi, et qu'il pourra nous aider. D'une manière ou d'une autre."

Elle replia finalement son pouce.

"Qu'en pensez-vous ? Voyez vous d'autres chemins possibles pouvant nous amener à notre libération ?"

Jet:

Le duc écouta attentivement la jeune arpenthe, quelque peu étonné par sa présentation quelque peu singulière, particulièrement sa main bariolée de fresques chaotiques.
Ce qu'elle disait faisait sens, du moins jusqu'à un certain point. Avoir un avis externe lui semblait être une bonne idée, il pouvait être quasiment sûr de son objectivité, mais il était visible qu'elle ne pouvait comprendre les tenants et les aboutissants de tous les actes que le duc ferait. Rien que le fait de prêter attention à la jeune dame jouait tant en sa faveur qu'en sa défaveur auprès du peuple. Il devait faire attention à la moindre parole, au moindre geste et, surtout, à la moindre décision qu'il prendrait, sous peine de voir son peuple se rebeller contre lui.
"Je vois que votre culte vous a bien enseigné, ma chère" commença le duc d'une voix assurée de l'homme qui a l'habitude des tractations diplomatiques "Dénombrer dans un premier temps les personnes qui désirent se battre est une bonne idée, nous le feront. Cela permettra également de séparer un peu les foules et éviter les effets de masse. Chacun pourra choisir son camp selon sa propre décision. Et nous pourrons un peu mieux gérer les plus fougueux parmi eux.
Quant à l'inventaire de nos ressources, nous ne pourrons le faire. Du moins pas maintenant. Je connais bien le montant de nos caisses, nous tenons une excellente comptabilité dans le duché, et je peux vous assurer qu'accéder à cette demande mettra le duché bien à mal pour plusieurs années. Il ne s'en relèverait pas sous mon règne, c'est certain.
Par rapport au noble marchand, je vois de qui vous parlez. Qu'il veuille négocier me semble logique au vu de sa personne, mais il est étrange, effectivement, qu'il ne soit plus là. J'accepte de vous donner un coéquipier pour la mission que vous vous proposez d'accomplir. Il s'agit de Yoann. Il sera parfait."

Le duc fit signe au personnage concerné. C'était un petit homme, mal rasé et d'un aspect tout ce qu'il y avait de plus quelconque. Il passait inaperçu, au point que Deepika n'avait pas relevé sa présence jusqu'à ce qu'il soit interpellé par le duc. Ses cheveux un peu trop long lui retombaient sur le visage, cachant par là quelques mauvaises cicatrices.
"Je vous remercie de votre bienveillance, jeune dame, et vous encourage à présent à partir à la recherche du marchand. De notre côté, nous allons calmer la foule, la séparer, et écouter le débat qui ne manquera pas d'arriver."

Accompagnée du dénommé Yoann, Deepika sorti discrètement de la salle.

Deepika se fendit d'un pied plus reculé pour mieux courber la nuque pour montrer sa reconnaissance au Seigneur traversier. Elle allait pour rejoindre l'espion, quand, elle s'arrêta, et ajouta, montrant à nouveau sa main qui avait maintenant le majeur replié.

"Duc, il reste encore une occupation pour les plus faibles : quantifier vos vivres pour connaitre combien de jours vous pourrez tenir le siège. Si cela est suffisant, je pourrais toujours essayer d'aller prévenir vos alliés pour vous secourir."

Enfin, elle suivit Yoann pour sortir de la Halle.

"D'où la vue est la plus claire pour observer sans être vu les alentours de Sankt Antha, Yoann ?'

En même temps, elle essaya de se souvenir avec le plus de détails possible la géographie de la région.

Le duc tiqua à la demande de la jeune dame. Certes il n'y avait pas répondu directement, mais son entourage avait remarqué également que pour ce retour elle ne lui avait pas autant adressé les formes nécessaires. Il ne voulu pas la réprimander, mais savait qu'il allait devoir rendre des comptes plus tard, pour cela.
"Nous verrons ce que nous pourrons faire." Répondit-il diplomatiquement.

Yoann entraîna Deepika à l'extérieur, mais emprunta directement un escalier. Le duché était encombré et même en montant au sommet du bâtiment le plus élevé, la cité contenait trop de caches possibles, même en plein milieu d'une rue, les bâtiments empêchant d'y voir davantage. Néanmoins, ils prirent la route des toits. Yoann les connaissait comme sa poche, savait quels rebords pouvaient former des passages, où ne surtout pas poser les pieds et, le plus important, où on pouvait observer les gens sans être vu. Ils allaient parcourir les rues principales de la sorte avant de s'intéresser aux plus petites venelles si nécessaire.

Deepika marchait dans les pas de son guide, devinant aisément la fragilité des chemins empruntés.
Pourtant, une fois sur les hauteurs, tout son être se sentit happé par la beauté de la vue, les lignes des traverses émoussées par le temps et les voiles d'humidité vaporeuse.
Elle eut un sourire comblé, l'espace d'un instant, avant de commencer à scruter les silhouettes des assaillants, si possible, ou rechercher celles du noble marchand et ses gens.

"Et quel est votre point de vue à propos de l'origine de cette attaque ?" Murmura soudain l'arpenthe à l'adresse de l'espion du Duc.

Jet:

Le petit homme était nerveux et n'y allait pas par quatre chemins pour répondre à Deepika "Pour être honnête avec vous, ma p'tite dame, je m'en fiche un peu de savoir qui peut bien nous attaquer. La guerre sur les traverses, c'est monnaie courante, vous devriez le savoir. Il peut s'agir d'une seigneurie voisine, comme Weinsert, tout comme une cité plus éloignée comme Ferraille. Ça m'étonnerait que ce soit Méthalume vu que ça créerait trop de problèmes pour eux. Les grandes villes se prennent pas la tête avec des péquenauds comme nous. Pour les autres, c'est une autre question. Un ancien ennemi du duc, un ancien ami qui s'ennuie ou juste un jeune nobliot traversier qui a un pet de travers, j'en sais rien. Je veux juste qu'ils foutent le camp. Alors si ce marchand peut y être pour quelque chose, je veux bien lui faire payer."

Leur premier point de repérage était proche des sorties de Sankt Antha, où ils supposaient le trouver en train de discuter avec les assiégeants, à défaut de négocier avec eux, mais il n'y était pas. C'est en se dirigeant vers les sorties moins probables, comme celles donnant directement sur l'écryme, qu'ils le virent au détour d'une ruelle. Il semblait être à la recherche de quelque chose, fouillant méticuleusement les demeures.

Le oh dont se fendit Deepika pour toute réponse fut à peine audible. L'espionnage en haut-lieu finissait par donner ses fruits. Le noble fouillait...

" Suivons le... avant d'agir. Peut être qu'il ... cherche quelque chose... dans l'intérêt de Sankt Antha. Même si ses manières sont plutôt suspectes... "

Observer d'en haut le curieux noble avait quelque chose d'agréable pour l'arpenthe, au point de la faire sourire.

Le guide de Deepika cracha par terre en signe de désapprobation. Ce genre d'acte était usuel parmi les membres de l'aragone lorsqu'il passait devant toute sorte de technologie, pour montrer à tout le monde le dédain qu'ils en éprouvaient.
Il acquiesça cependant et entraîna la jeune femme dans le sillon du noble marchand.

Cette filature dura un certain moment, jusqu'à ce qu'il sembla s'approcher de ce qu'il cherchait. Il semblait plus déterminé, maintenant.
Il s'était approché de la vieille mine de Sankt Antha. Il s'agissait de la mine pour laquelle la première traverse a été amenée ici. Un bourg commença à se construire autour de la mine il y a de cela plusieurs dizaines d'années. Les prochaines traverses ont été construites par la suite, donnant à cette jonction sa forme de Y.
D'après le petit homme, les derniers à avoir exploité les restes de gisements de la mine étaient Shigi et Anita Kessler, un couple âgé de Sankt Antha, très sympathique. Ils avaient vendu leur mine à Anton et Artus environ 10 ans plus tôt.

Visiblement le noble semblait s'y intéresser. Il s'intéressa tout particulièrement à l'une des caisses devant l'entrée souterraine, derrière la barrière métallique qu'il venait de franchir.
Les deux espions l'observaient de loin.