4ème Flashback - Deepika : Si les symptômes persistent - Terminé

La colère de Yoann s'était dissipée. Son sourire fatigué caressa la mine préoccupée de l'espion. La tension retomba it pour elle aussi et ses jambes commençaient à être plus lourdes.

"Que pensez-vous qu'il va se passer maintenant ? Est-il encore possible de sauver Sankt Antha, le duc et ses sujets ?"

"Pour être honnête avec vous, je ne sais pas ce qui va se passer maintenant. On ne sait pas quel était le but de ce qu'on vu là en bas, j'ai donc du mal à imaginer ce qui arrivera si le duc vienne à les cuisiner, ou même si les soldats Méhtalumiens viennent à y fourrer leur nez... Pour l'instant je sais même pas si qui va arriver à Sankt Antha, pour tout vous dire. Tout ce que je sais, c'est que c'est un joyeux sac d'écryme, tout ça."

Comme pour appuyer la phrase de Yoann, les clameurs d'une foule plus loin dans le duché se firent entendre.

Elle hocha vaguement la tête, elle comprenait sans joie que même l'espion expérimenté avait du mal à anticiper la suite.
Un peu échaudée par la dernière réaction des habitants à son égard, Deepika ralentit le pas par réflexe.

"Il vaudrait peut être mieux que je n'y aille pas, Yoann. Qu'en pensez-vous ? Ma présence à vos cotés pourrait encore nuire au Duc..."

Yoann observa la jeune arpenthe d'un air un peu circonspect.
"Vous ne pensiez quand même pas que j'allais vous faire passer par la porte d'entrée alors que vous devriez croupir en prison, non ? Même si les habitants ne se souviennent certainement pas de vous, j'allais vous faire entrer par la porte de derrière. C'est le duc qui a demandé votre aide vu que vous êtes plutôt neutre, c'est à lui d'en assumer les conséquences. Vous inquiétez pas pour ça, c'est un grand garçon. Maintenant, si vous préférez partir avant que tout ça ne parte en eau d'écryme, grand bien vous fasse, c'est pas moi qui vais vous retenir. Vous ne seriez d'ailleurs pas la seule à prendre vos pieds à votre cou, je vous en assure."

Les cris lointains se firent plus forts et commencèrent à se déplacer. La foule dont l'écho des clameurs résonnait dans les rues de la cité s'amplifiaient au fur et à mesure de la procession.
"Ces bruits n'annoncent rien de bon." Constata Yoann d'un air inquiet.

Deepika, le regard inquiet posé vers son interlocuteur, secoua le visage pour confirmer qu'elle ne se retirerait pas maintenant.

"Je veux être sûre que cette affaire se terminera au mieux pour les plus innocents..."

La clameur pourtant n'avait rien pour la rassurer.

"Je pense que les innocents un temps soit peu intelligents trouveront le moyen de s'en sortir. Je ne sais pas si on pourra en dire autant pour les plus sanguins d'entre eux."
Quelques rues séparaient à présent Yoann et Deepika de la foule bruyante. Ils pouvaient à présent entendre des personnes scander des slogans parlant de justice, de combat et de liberté. Il semblerait qu'au moins un groupe ai prit la décision d'affronter directement l'ennemi. Même Yoann semblait mal assuré à présent.
"Nous n'avons plus beaucoup de temps, je pense. Laissez-moi vous donner un conseil : vous n'êtes pas d'ici. Si l'histoire tourne au vinaigre, n'hésitez pas à prendre la tangeante. Je doute que votre vie ne vaille la peine de se démener pour des inconnus condamnés."

Etait-ce là le moment venu de se dire les dernières paroles ? Deepika songea qu'il serait bon de remercier Yoann...

"Je vais rester par ici, je n'ai pas fini d'explorer cette parcelle de l'Arentèle, de toutes façons. Si l'issue vous est favorable, nous nous reverrons. En attendant, j'espère que la Toile a pour dessein de vous garder encore parmi les êtres qui comptent. Merci Yoann, mes prières parleront de vous et du temps que vous avez offert à une arpente inconnue."

Elle hésitait à le serrer dans ses bras.

Yoann écoutait arpenthe, ne sachant que lui répondre. Il ne portait que peu d'intérêt à cette religion et ses croyances. Au fil des ans il avait appris à ne faire confiance qu'à lui même et en ce qu'il voyait, non aux idées ésotériques que d'autres pouvaient bien vouloir lui enseigner.

"Eh bien... Euh... Merci à vous, c'est bien gentil ma p'tite dame. En attendant venez, allons voir le duc, cela ne pourra être que bénéfique pour nous de quitter ce quartier."

Les cris de la foule voisine s'éloignaient à présent en directement des portes de la ville. Les personnes la composant étaient bien décidées à affronter l'ennemi de front.

Deepika écoutait avec philosophie ceux qui hurlaient leur désir d'en découdre avec leur assaillants. Ainsi le voulait l'Arentèle.
Elle suivait Yoann, derrière lui à moins d'un pas, sûre d'être à sa place à cet instant. Ce serait pour elle l'occasion d'exprimer sa reconnaissance au Duc.Elle ne doutait pas un seul instant qu'un homme doté d'une si fine intelligence saurait sortir son épingle du grand jeu des Hommes.

"Depuis combien de temps, Yoann, travaillez-vous pour ce duché ?"

Yoann ne semblait pas vouloir répondre directement à Deepika. Il mit un instant avant de lâcher le morceau.
"Je... Je travaille pour le duc dep..."
Il fut coupé net dans sa phrase. Les coups de fusils retentirent au loin, accompagnés par les cris des citoyens. La bataille venait de commencer.
"Ça va tourner en massacre, cette histoire. Venez, il faut nous dépêcher."
Il tira Deepika par le bras et l'entraîna au pas de course vers la salle commune dans laquelle devait certainement encore se trouver le duc.

Lorsque les deux compères arrivèrent à destination, un silence désagréable les accueilla. La salle n'était pas vide, bien au contraire, elle était presque aussi pleine que lorsqu'ils la quittèrent. Bien sûr, certaines personnes en étaient sorties, pour rejoindre leurs demeures, se cacher, ou attaquer les assaillants du duché, mais la majorité des sujets de Sankt Antha étaient bien présents. Cependant, tous se taisaient. Même le duc et ses conseillers. Et tout le monde fixait les deux nouveaux arrivants. L'ambiance lugubre était à couper au couteau. La tension était palpable. L'inquiétude gagnait peu à peu Deepika et Yoann, laissait la place à la peur, l'angoisse. Cette dernière atteint son paroxysme lorsque la foule rassemblée se mit à parler en chœur, comme une seule personne "Vous êtes des étrangers ! Partez d'ici !"

La voix de la foule glaça le sang des deux acolytes. Yoann en resta tétanisé un instant.

Deepika était encore sous le choc suite aux coups de feu qui lui rappelaient de mauvais jours, quand elle fut dérangée par ce silence artificiel qui régnait dans la salle. Quand le chœur les somma de sortir, elle eut un regard pour le duc, puis vers les sujets les plus proches d'eux. Étaient ils soudain tous devenus fous ? Elle chercha dans leurs physionomie si c'était bien des humains et non des poupées d'illusions.

Deepika scruta les personnes autour d'elle. Il s'agissait bien des personnes qu'elle avait rencontrée quelques heures plus tôt. Elles n'avaient pas été remplacées et il ne s'agissait pas d'imposteurs. Mais il était indéniable que quelque chose ne tournait pas rond. Comment toutes ces personnes pourraient-elles, autrement, parler de la sorte ?
"PARTEZ ! PARTEZ ! PARTEZ !" Clamait maintenant la foule, toujours en chœur, toujours plus fort et toujours plus rapidement.
La peur s'emparait de plus en plus des deux compères. Yoann tira Deepika par le bras et l'entraîna à l'extérieur.
"Ok, je sais pas trop ce qui se passe ici, mais je crois qu'on devrait partir de là !"

Deepika suivait, elle commençait à croire que l'Arenthèle avait prévu de régler la situation à sa façon. Mais, ne pas comprendre l'inquietait. Les signes n'étaient pas clairs.

"Yoann, pensez-vous que... Le dispositif aperçu tout à l'heure... Puisse être la source de ce mal auquel nous venons d'assister ? Que cette salle ait été piégée..."

"PARTEZ ! PARTEZ ! PARTEZ !"
Les voix, criant toujours à l'unisson, s'éloignaient au fil de leur fuite. Une fois sortis, Yoann s'arrêta un instant pour reprendre ses esprits.
"Je ne sais pas ce qui se passe, je n'ai jamais vu cela. Je ne sais pas si ça a quelque chose à voir avec ce qu'on a vu dans la mine. Je..."
Le petit homme se figea au beau milieu de sa phrase, le teint livide, les yeux écarquillés, rivés sur quelque chose derrière Deepika. Lorsqu'elle se retourna pour voir ce qui pouvait bien perturber son acolyte, elle n'en revint pas : dans la maison derrière elle, à l'étage, une femme d'un certain âge se tenait là à les fixer du même regard que la foule de la salle commune. Ses lèvres dessinaient les mots "PARTEZ !" dans le même rythme que ses compatriotes, bien qu'elle ne fut à peine audible à travers la vitre et le vacarme distant de la bataille qui semblait sanglante au jugé des cris.

"Je crois qu'il est temps de s'en aller..." Déclara Yoann sur un ton sombre en sortant Deepika de sa stupéfaction.
Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais elle avait le même sentiment que Yoann. Elle devait partir.

Deepika n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles.

"Par toutes les traverses !" jura-t-elle.

Ce spectacle lui glaçait les veines. Elle serra la main de Yoann et le suppliant.

"Il faut partir et nous cacher, quelqu'un ou quelque chose a corrompu ce lieu, il est perdu. L'Arenthèle seule peut encore sauver ses pierres mais je doute qu'elle puisse sauver ces hommes et ces femmes... Yoann... Vite..."

Yoann ne se le laissa pas dire à deux fois. Il emmena Deepika au pas de course à travers les ruelles du duché. Par plusieurs fois ils virent d'autres personnes, que ce soit dans l’entrebâillement de la porte ou derrière une fenêtre, les regarder passer, toujours en les sommant de partir.
Ils descendirent une volée de marches proche de du mur est, loin des entrées de la cité traversières. Ils arrivèrent sur une petite jetée au-dessus de l'écryme, affublée de deux bancs de métal, sur le flanc de la colline sur laquelle les bâtisses ont été érigées. Tout semblait tellement calme ici, loin des cris, des batailles et autres sommations. Deepika se sentait également plus libre ici, plus légère, comme si un poids oppressant dont elle n'avait conscience de la présence l'avait quittée. En regardant les remparts de la cité, elle ne put s'empêcher de repenser à cette angoisse qu'elle ressentait encore quelques instants plus tôt. Le duché lui en semblait presque maudit.
La mer d'écryme s'offrait aux deux compères. Au loin, au-dessus du léger brouillard qui recouvrait la mer acide, des silhouettes se dessinaient, affublées de points lumineux, probablement des lanternes.
"Des échassiers" avertit Yoann "la cité doit être encerclée. Venez, nous n'avons pas de temps à perdre."
Ils longèrent la petite place publique, sous les remparts, et se mirent à escalader le flanc rocheux. Le sol était suffisamment ferme pour les tenir et ne pas céder sous leur poids. Yoann lui montrait sur quels rochers s'appuyer. Il semblait connaître le chemin par cœur. Ils se retrouvèrent bientôt à la jonction entre la petite montagne et les remparts de la cité. Yoann poussa quelques pierres appartenant à la structure bâtie, créant une ouverture à peine suffisante pour permettre à une personne de s'y faufiler.
"Suivez-moi."
Yoann se laisser glisser le premier dans le trou, les pieds en avant.

Malgré l'urgence de la situation, les risques pris à chaque pas, Deepika ne pouvaient s'empêcher de ressentir de l'amour pour l'Arenthèle et ses secrets. Elle ne se contentait pas d'être belle et immense, non, elle était surprenante et tellement imprévisible.
Sankt Antha n'était pas juste assaillie, un autre mal l'avait pris de vitesse et l'issue en plus d'être incertaine, serait inouïe.

Deepika suivait Yoann, le seul être humain à se comporter encore comme tel dans les environs. Parfois, elle se surprenait à saisir une main, une épaule. Et lorsqu'il s'engouffra dans le trou, elle eut la peur déraisonnable qu'il disparaisse. Sans même alors réfléchir, elle le rejoignit, pressée de le retrouver.

Deepika dut avancer difficilement pendant quelques instants en s'aidant du relief de la galerie naturelle. Au bout de deux bonnes minutes toujours plus angoissantes et de claustrophobie naissante, elle entendit Yoann l'avertir de son aide avant de sentir les poignées de son acolyte s'accrocher à ses chevilles et tirer la jeune femme hors du trou. Une petite torche éclairait faiblement la petite grotte qui semblait d'origine naturelle, avant d'avoir été suffisamment excavée pour que deux à trois personnes puissent s'y tenir vaguement debout.
Yoann replaça quelques rochers devant l'ouverture afin d'en cacher l'existence. La galerie ne devait ressembler à rien d'autre qu'une petite ouverture naturelle de l'extérieur, à présent.

"Ils viendront pas ici, vous inquiétez pas, personne d'autre que moi ne connaît cet endroit. Venez, il faut continuer."
Il entraîna l'arpenthe dans un petit tunnel qu'ils durent franchir doucement, tantôt en s'accroupissant, tantôt à quatre pattes, quelques fois même en rampant. L'air y était humide et légèrement âcre par les infiltrations d'écryme. Ils ne se trouvaient au final qu'à quelques centimètres au-dessus de la mer acide.
Au bout de presque une heure éreintante, ils rejoignirent une autre petite grotte naturelle.

"On fait une pause ici, on a encore pas mal de chemin. On se trouve dans la traverse qui mène à Méthalume. Peu de personnes savent que le rocher sur lequel Sankt Antha a été bâtie se prolonge autant, de l'extérieur on ne voit que la traverse elle-même. J'ai découvert cette grotte il y a maintenant quelques années et je l'emprunte de temps en temps pour m'assurer qu'elle n'a pas été découverte."

Deepika soufflait enfin. Ravie d'être à l'abri avec Yoann, qui lui expliquait avec ses mots qu'ils se trouvaient dans une des veines de l'Arenthèle.
Le seul problème restait cette fatigue qu'elle sentait s'accumuler. Réveillée en pleine nuit, et épuisée par toutes ses émotions, elle n'aurait pas refusé une sieste.

"Comment peux-tu être certain que personne n'empreinte ce passage pour Metalhume ?"

Ils devaient être l'un comme l'autre dans un état de propreté déplorable...

Parler d'autres choses permettait à l'arpente de décompresser. Au point de sourire presque derrière ses mèches de cheveux en pagaille.

"Tu me montreras ce que tu sais des traces des personnes qui empruntent des passages comme celui-là à l'intérieur d'une traverse ? Cela m'intéresserait tellement !"

Cette réflexion en fit naître une autre aussitôt. Le visage de Deepika perdit son sourire naissant.

"Yoann... Que vas tu faire à Metalhume ? Tu n'as plus de travail si le duc meurt..."

"Ici c'est relativement simple. On est obligés de racler les parois pour avancer. Si quelqu'un était passé par là, la mousse n'aurait pas poussé à ce point. Il suffit de connaître la vitesse de croissance moyenne de la mousse dans un lieu donné et l'observer régulièrement pour pouvoir jauger si oui ou non quelqu'un d'autre y est passé."

Yoann leva un sourcil à la dernière phrase de l'arpenthe "Qu'est-ce qui vous fait dire que je n'ai pas déjà un travail ailleurs ?" Les sous-entendus possibles de Yoann étaient aussi intrigants qu'ils pouvaient être inquiétants.
"Venez, on continue." Le petit homme s'introduit dans le prochain interstice, cette fois debout, le dos contre une parois, le ventre frottant péniblement celle en face. Il y avait à peine suffisamment de place pour remplir ses poumons d'un air âcre.

Deepika observa du bout des doigts les mousses des parois. Yoann avait raison, cet homme était brillant.

"Merci à vous !"

Chaque enseignement mérite d'être troqué contre autre chose. Mais là, ils manquaient de temps. Il fallait déjà reprendre les contorsions pour espérer arriver sain et sauf à Methalume.

"Pardon. J'ai déduit bien trop vite que vous étiez en charge auprès du Duc de Sankh Antha. J'ai de la peine pour ces enfants du Duché... Ce que nous avons fui est terrifiant. J'espère que l'Arenthèle leur permettra de ne pas être tourmenté trop longtemps. A la Grande Methalume, nous trouverons peut être des personnes aptes à les secourir. Qu'en pensez-vous ?"

Yoann ne répondit pas tout de suite, peiné par le passage étroit. La respiration était difficile et la parole un luxe. Au bout de longues minutes interminables il s'arrêta un instant "Vous ne vous trompé pas, ma bonne dame, j'étais bien en charge auprès du Duc. Ce qui ne m'empêche pas de travailler pour d'autres personnes en même temps... Mais je vois que vous autres arpenthes ne comprenez pas forcément ces subtilités. Pour l'aide à Sankt Antha, n'espérez pas trouver de l'aide auprès des mêmes personnes qui ont fomenté cette attaque. Et si vous pensez que quelqu'un d'autre puisse s'intéresser à la vie de simples traversiers, vous vous méprenez largement. La Toile, l'Arenthèle ou peu importe comment vous voulez appeler ça n'est pas une entité vivante qui se soucie des humains. C'est une construction de pierres et de métal qui succombe doucement à l'écryme comme le reste de ce monde. Rien d'autre. Le duché de Sankt Antha n'est pas le premier à tomber de la sorte. Et ne sera certainement pas le dernier."

La leçon de vie admonestée par Yoann retentit sur le moral de l'arpenthe. Elle sentit les forces s'échapper de son corps, et son visage exprimait une pesante tristesse.
Le monde était donc étranger à toute magie ? Elle se contenta d'hocher la tête en signe de compréhension.
Elle n'avait pas l'énergie disponible pour essayer de convaincre Yoann que tout n'était pas aussi désespéré qu'il le pensait. Il lui fallait se reposer avant, regrouper ses idées et les trier pour mieux argumenter. Offrir de l'espoir au travers de quelques paroles à des personnes qui ne croyaient plus, c'était là tout ce qu'elle avait en elle de précieux. C'était son trésor qu'elle aimait partager...

Elle se reposa en même temps que Yoann et fut bientôt prête à reprendre la traverse par son conduit.