4ème Flashback - Deepika : Si les symptômes persistent - Terminé

Deepika écouta, attentive, les explications de l'espion. Il était le meilleur allié du seigneur, certainement, il savait beaucoup de choses. Pourtant, les fouilles du noble marchand restaient énigmatiques pour elle : que pouvait-il bien faire ainsi ?
Elle murmura au guide quelques mots :

"Connaissez-vous ce noble-marchand ? Pourquoi, selon vous, fouille-t-il ainsi dans un lieu qui ne lui appartient pas ?"

La réponse à la seconde question risquait d’apparaître devant leurs yeux assez vite, sauf si il faisait chou blanc.

"Ce type est venu il y a 3 jours. Le duc m'a demandé de le filer un peu et de le surveiller. On n'aime pas tellement les nobles marchands. C'est vrai qu'ils nous ramènent du fric, mais avoir des types des konzerns dans le duché, c'est toujours risqué. D'une main ils vous proposent des accords commerciaux lucratifs et de l'autre ils vous entubent au point de pouvoir légalement vous prendre tout ce que vous avez et vous foutre leurs usines dans la gueule. Ils sont sournois et dangereux, j'vous dit. Je sais qu'il rôde pas mal dans le coin depuis qu'il est là, il cherche quelque chose, c'est sûr. On pensait qu'il essayait un peu de faire l'état des lieux pour voir si le duché apporterait quelque chose à son konzern. Ça m'étonne pas vraiment qu'il profite de la cohue pour fouiller un peu plus les alentours."

Les deux espions continuaient de guetter le noble marchant qui semblait satisfait, cette fois, de sa trouvaille. Il avait sorti du métal de la caisse métallique. Cela ressemblait à un amas de fil de cuivre. Il reposa la marchandise dans la caisse qu'il ferma avant de rebrousser chemin, non sans vérifier si le grand rideau métallique de l'entrée de la mine était, à tout hasard, ouvert, en vain.

Deepika comprenait bien que ce marchand était finalement une fausse piste, pour régler le conflit qui se jouait... Pourtant, il semblait bien tranquille pour un homme qui risquait de se faire égorger. Selon les enseignements de l'Arentèle, le hasard n'existait pas.
Elle se tourna vers Yoann, pour murmurer son plan :

" Je vais aller le trouver... Lui dire que j'ai bien vu ce qu'il vient de faire, et lui demander de m'en dire plus sur les gens qui nous attaquent contre mon silence. Je ne sais pas me battre, par contre... Si jamais il devenait violent, je préférerais que vous restiez dans les parages. Etes-vous d'accord ? "

"Le duc m'a demandé de rester avec vous, vous pensez bien que je vais vous coller aux basques, ma p'tite dame, que vous me le demandiez ou non. Vous pouvez aller lui parler si ça vous chante, je vais rester dans l'ombre, je vous surveille. S'il devait essayer des trucs pas corrects, je viendrai vous aider."

Yoann resta en retrait tandis que Deepika s'approcha du fouineur pour lui parler.

Deepika réajusta la position du voile couvrant ses cheveux, et s'approcha, la tête haute, vers le noble farfouilleur. Son sourire discret ne permettait pas de deviner son stratagème, du moins, c'est ce qu'elle aurait voulu.

"Messire. Je trouvais étrange de ne plus vous voir sous la protection de la Halle du Duc. Et voilà que je me retrouve à vous suivre, espérant vous apporter mon aide afin de sauver ces pauvres gens traversiers. Mais quelle surprise de vous trouver si détendu, à fureter dans les biens d'autrui."

Son sourire devient plus complaisant.

"J'aurais dit que c'était du cuivre. Une bien riche trouvaille. Il ne vous reste plus qu'à sauver le peuple d'ici, puisque vous savez comment. Il serait bien regrettable que le Duc apprenne que vous ne comptiez pas l'aider."

À la fin de sa phrase, pour signifier qu'elle avait fini de parler et qu'il pouvait prendre la parole, elle dissimula ses lèvres derrière sa main avec grâce.

Jet:

Le noble marchant eu un moment de surprise très fort à la vue de Deepika et surtout après son court discourt. Il s'en voulait visiblement de s'être fait avoir comme une bleusaille et était impressionné par la vivacité d'esprit de l'arpenthe. Bien qu'il n'en fut guère enchanté, il n'avait pas le choix que de lui dire la vérité, maintenant qu'il était démasqué. Ses supérieurs seraient tout aussi enchantés à son rapport, mais finalement, le risque était négligeable, ils comprendraient, d'autant plus au vu de ses trouvailles positives.
Il retrouva donc son sang froid et répondit à la jeune femme sur un ton assuré, mêlé de raillerie avec une petite pointe de menace de celui qui faisait comprendre qu'il valait mieux ne pas s'y frotter.
"Kristian Fliege, pour vous servir, ma très chère" commença le noble en séparant bien chaque syllabe comme pour rappeler son interlocutrice à l'ordre "En général on entame une conversation en se présentant, non ? Je vous avoue être autant surpris qu'impressionné par votre découverte. Voilà quelques jours que j'arpente le duché sans me faire avoir pour finalement être pris la main de le sac par une ravissante jeune dame qui n'est même pas de la région." L'homme, d'une trentaine d'année, lisait Deepika aussi facilement qu'elle a pu voir dans son jeu, ce qui n'était pas pour la rassurer "C'est exact, j'ai trouvé du cuivre. Plusieurs kilogrammes de cuivre. Une quantité importante pour un tel duché, vous ne trouvez pas ? D'autant plus qu'il est converti au culte de l'aragone depuis bien longtemps et qu'une telle marchandise devrait donc logiquement être bannie. Vous ne trouvez pas cela étrange ? Je vous l'avoue en bloc, étant donné que vous avez percé ma couverture à jour, je ne suis pas celui que je prétends être. Je ne suis nullement un noble marchant, même si j'ai pu en acquérir la verve." Kristian ne semblait pas peu fier de réussir à tromper aussi facilement la majorité des personnes, pourtant habituées à voir des nobles marchands "Je travaille pour le compte des autorités Méthalumiennes, cité de laquelle je suis moi-même originaire. Nous déplorons des vols de cuivre depuis quelques semaines et mes enquêtes m'ont menées jusqu'au duché de Sankt Antha. À raison, comme j'ai pu le constater. Je viens de retrouver le cuivre disparu. Je n'ai pu approcher la mine ces derniers jours car elle n'était jamais à l'abris des regards, jusqu'à aujourd'hui. Avec ces preuves, je peux tranquillement me rendre au poste télégraphique le plus proche et faire le rapport tant attendu à mes commanditaires. Il va sans dire qu'il ne restera plus grand chose de ce duché dans les jours qui viennent. Vous devriez peut-être en profiter pour vous en éloigner, d'ailleurs. Vous ne pensez pas ?"

La révélation de cette homme fit froid dans le dos de Deepika. Alors qu'elle avait bien compris qu'il n'était pas là pour aider le duc, elle ne s'attendait pas à une telle horreur. Si l'espion Méthalumien donnait son rapport à ses supérieurs, le duché allait se faire massacrer. D'un autre côté, s'il ne le ferait pas, Deepika se doutait bien que ses commanditaires allaient être suspicieux au bout d'un moment et le sort final serait certainement le même. Bien que "simple employé" des autorités de la cité-usine, cet homme ne semblait pas inhumain pour autant. Lorsqu'il parlait des conséquences de ses trouvailles, l'arpenthe pu voir en lui la fugace impression de dégoût, comme s'il n'était pas particulièrement enchanté par cette perspective indépendante de sa volonté. Peut-être serait-il possible de marchander avec lui ?
Et d'autres questions se posaient encore : était-il en relation avec les assaillants actuels ? Pourrait-il peut-être leur parler ? D'ailleurs, devait-elle vraiment s'y intéresser ou envisager sérieusement le conseil qu'il lui donna et s'enfuir ? Et à quoi pouvait bien servir le cuivre ? Le temps laissé par les assiégeants s'égrenait sans relâche et il n'y avait pas encore de rédemption en vue pour les habitants de la jonction.

Deepika sembla de prime abord pincée par l'aplomb du noble marchand factice. En effet puisque il n'avait rien à craindre finalement de la part de l'arpenthe. Mais au fur et à mesure des révélations, Deepika se mit à dérouler les derniers événements dans sa tête, forte de ces nouvelles informations. Une question survint aussitôt, l'air très affecté.

" Pensez-vous que le cuivre caché à Sankt Antha puisse valoir environ 10 mille liges ?"

L'arpenthe eut un mouvement avorté de la main, cherchant à s'exprimer, mais une nouvelle idée la troubla au point de chasser ses précédentes pensées.

"Non... Non, ce n'est pas possible, je ne crois pas que le Duc puisse être impliqué ! Il y a bien trop de risques... Beaucoup trop... Il ne peut être complice de ces vols. Mais peut être que certains veulent le faire tomber, par ce biais... Ou faire tomber cette jonction... Ou ceux qui y vivent... "

"A vrai dire, le Duc vous fait suivre depuis quelques jours, et sait bien que vous fouillez les alentours. Pourtant, il ne vous a pas fait arrêter, malgré le fait que vous cherchiez du cuivre volé."

"Je vous propose que nous allions lui parler, ensemble. Et... Même si cela ne fera pas partir les gens de Weinsert... Du moins dans l'immédiat."

"Avec tout le respect que vous méritez, ma chère, je sais que pour vous autres, les arpenthes, qui cherchez l'unité de la Toile, les tractations politiques citadines et traversières sont une chose qui vous est plutôt étrangère par nature. Je pense savoir dans quelle direction tout ceci va aller, mais je veux bien vous accompagner. Je travaille certes pour le compte de Méthalume, mais je ne suis pas un monstre pour autant. Peut-être que certains habitants du duché pourraient être épargnés par ce biais, à défaut de sauver le duché dans son entier."

Deepika et Kristian retournèrent finalement vers la salle principale au centre du duché, accompagnés par Yoann. Le Méthalumien ne sembla pas tellement surpris en le voyant surgir de l'ombre. Ils se saluèrent presque amicalement avant d'entreprendre le chemin.

Un chaos presque maîtrisé régnait dans la salle principale à leur arrivée. Des groupes s'étaient formés. D'un côté il y avait bien ceux qui étaient près à se battre, comme l'arpenthe l'avait suggéré, mais d'autres groupuscules s'étaient formés en leur sein. Il y avait ceux qui voulaient un affrontement direct, avec, parmi eux, le garde auquel Deepika parla en premier et le jeune écuyer. Un autre groupe se ralliaient à l'idée d'un trentenaire qui proposait d'empoisonner des vivres à donner aux assaillants, qu'ils pourraient s'en débarrasser ainsi. Le plan semblait fou, tellement fou que plusieurs semblaient le trouver réalisable.
De l'autre côté se trouvaient ceux qui ne voulaient pas tenter la bataille. Un groupe, mené par le prêtre aragone, prônait la paix et demandait des négociations. Une femme d'une quarantaine d'année se débattait pour faire changer le prêtre d'avis, arguant qu'il était lâche et que c'était contre les préceptes de la religion. Un autre groupuscule encore était prêt à payer si cela leur valait la vie sauve.
Parmi tous ces groupes, des individus changeaient de camp, essayaient de convaincre les autres, criaient, en venaient presque aux mains.
Elle en entendit parler d'une poudre qui aurait servi si le duc ne l'avait pas vendue. D'autres disaient que le duc était de mèche avec les assaillants et qu'il prendrait la poudre d'escampette dès que possible. Toutes sortes de rumeurs, d'histoires, de fausses-vérités faisaient surface, trahissant la peur et la colère du peuple.

La milice prenant trop souvent position pour un groupe ou un autre, le duc peinait à garder un semblait de paix parmi l'assemblée. Quand un groupe commençait doucement à se calmer, il y avait toujours quelqu'un pour le ranimer.
Le duc semblait aussi apeuré que nerveux. Ses conseillers n'arrêtaient pas de lui soumettre toutes sortes d'informations et quelques individus venaient lui parler les uns après les autres. La tension était à son comble et le duc ne tiendrait certainement plus très longtemps.

Ce grand capharnaüm offrait un spectacle rare pour l'arpenthe. Elle s'arrêta un instant pour observer ce ballet, plein de cris et de drames. Chacun voulait vivre. Usant d'arguments mais n'agissant pas.

Elle se pencha vers Kristian et Yoann :

"C'est vrai que je n'y comprends pas grand chose. Mais je sais que l'Arentele a besoin des humains. Et que je me dois de préserver ce qui vit. Maintenant, sauriez vous me dire de quelle poudre ces gens parlent ? En quoi de la poudre pourrait sauver cette situation ?"

Yoann regarda l'arpenthe et l'espion Méthalumien d'un œil un peu mauvais, ne sachant trop s'il devait répondre ou non. Kristian, de son côté, leva un sourcil d'un air intéressé.
"Ils parlent de la poudre noire" Finit-il par dire "Un mélange de ce qui sortait de la mine avec un truc d'écryme ou je sais pas trop quoi, je suis pas alchymiste, moi. En tout cas, c'est un truc renégat qui nous restait sur les bras. Elle brûle bien et longtemps. Certains pensaient faire des explosifs avec, mais c'est interdit sur toute la Toile, comme vous le savez. Depuis les guerres d'Acrymonie, c'est bannie. Ça a fait un petit scandale local, le duc savait pas trop s'il devait la garder ou s'en débarrasser. Finalement, des mecs bizarres sont venus il y a quelques temps avec un grand dirigeable. C'était un sacré truc. Il avait de grandes baies vitrées dont une au sol. Autant vous dire qu'on voit pas ça tous les jours. Le duc leur a vendu la marchandise. Je sais pas trop qui c'était, mais ils avaient l'air de marchands. De nouveau on a eu un scandale entre ceux qui étaient content qu'on s'en soit débarrassé et ceux qui pensaient que c'était une erreur. Forcément que ça allait ressortir aujourd'hui."

L'arpenthe fronça le nez, de dégoût, en entendant parler d'explosif. Elle avait appris à détester ces engins de malheur, qui blessaient l'Arentèle. Mais elle se modéra aussitôt, imaginant que la Toile avait sûrement dans ses desseins secrets une place pour la destruction. Les inconnus qui avaient acheté cette poudre avaient du attirer l'attention des voisins du Duc, malheureusement...
Voyant ce dernier assailli par ses conseillers qui rivalisaient de conseils. Elle essaya d'abord de capter son regard, mais il n'était pas certain qu'elle y parvienne.

Le duc sembla soulagé de voir le duo arriver et surpris que le noble marchand en fasse un trio. Il demanda aussitôt à ses conseillers de s'occuper des doléances du peuple et pris les arrivants à part, demandant les nouvelles qu'ils pouvaient bien lui apporter.

L'empressement du Duc rassura l'arpenthe.

"Sire, il semble que quelqu'un ou un regroupement de personnes aient caché dans Sankt Antha du cuivre, volé à Methalume. Beaucoup de cuivre. Au point que la cité veuille venir le récupérer, non sans anéantir la jonction dont vous avez la charge, car ils pensent que ces vols sont vos ordres."

"Les assaillants sont vos voisins, qui profitent de cette affaire pour tenter d'élargir leur autorité."

"Il faudrait trouver très vite qui est derrière ces vols, et le livrer à Méthalume, avant ce soir."

Elle se tourna vers le noble marchant factice, pour le présenter au Duc et lui demander son approbation.
"Kristian pourrait se charger de désamorcer alors le conflit ?"

Quand Deepika donna son rapport au duc, le visage de ce dernier se décomposa. Tant les nouvelles elles-mêmes que les conséquences qu'elles impliquaient firent perdre ses moyens au duc. Il dut s'asseoir sur la chaise la plus proche. Il respira profondément un moment avant de répondre "Non, bien sûr que cette question de cuivre ne vient pas de moi. Nous en commandons de temps en temps, selon nos besoins, mais nous n'en volons pas, nous avons les preuves pour ces transactions. C'est quelqu'un d'autre qui est derrière tout cela, mais je reste le duc et la responsabilité m'en incombe, que je sois au courant de l'affaire ou non. Pouvez-vous me dire où vous avez trouvé ce cuivre ? Chez qui était-ce ?" Le duc reprenait tout doucement son aplomb "Quant à l'attaque originaire de Weinsert, je n'en suis pas vraiment surpris. C'est inhérent à la vie traversière, je m'en doutais qu'ils étaient à l'origine de notre pénurie récente."

Il lança un regard coléreux à l'espion Méthalumien quand celui-ci prit la parole
"Au sujet de désamorcer le conflit, je trouve votre candeur bien belle, ma chère, mais ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent. Vous vous doutez bien que les attaquants ne me connaissent pas et que je n'ai pas le moindre poids, pas plus que ne l'aurait un autre noble marchand. Non, c'est bien le duc ici présent qui doit leur parler s'il veut calmer les hostilités. La seule chose que je puisse tenter de faire, c'est de plaider en sa faveur auprès de mes supérieurs et qu'ils répondent avant que les assaillants ne lancent l'assaut final.
- Et vous savez très bien ce que cela veut dire, Kristian" Le seigneur traversier faisait ressentir sa colère "Le mieux que vous puissiez faire, si vous voulez que Méthalume ne nous rase pas, c'est de les amener à nous imposer une amende suffisante pour ruiner le duché pour les cinquante prochaines années, si ce n'est plus, et je devrai abdiquer pour laisser ma place à un bonhomme de paille duquel ils se serviront pour contrôler la jonction !
- En même temps, vous devez avouer que cela fait partie des risques que prennent les seigneurs traversiers. J'entends bien que la perspective ne vous plaise point, mais au moins vous auriez la vie sauve, non ?
- Allez-donc à l'écryme ! Vociféra le duc. N'essayez pas de me faire croire que ma vie vous importe ! Tout ce qui vous intéresse ce sont les liges que vous récolterez une fois que vous aurez servi ma tête à l'administration Méthalumienne !
- Allons, cher duc. D'une part, vous savez très bien que rien ne se fait sans argent. Et d'autre part, vous connaissez certainement tout autant que moi le détachement à la vie qu'il faut cultiver dès lors que l'on occupe un poste à responsabilité tel que le votre. À moins que vous ne vouliez à votre tour me faire croire que toutes les morts sur les traverses rejoignant votre duché vous touchent personnellement ? Allons, nous savons tous deux que leur sort, à défaut de vous être égal, ne vous concerne pas du moment qu'il n'impacte votre commerce et donc, à fortiori, le bien-être tant pécuniaire que moral de vos sujets."
L'espion restait aussi calme que le duc ne commençait à s'emporter sous la colère et le stress engendré par la situation actuelle. Cela ne faisait qu'ajouter de l'eau au moulin de ce dernier qui peinait à contenir sa dignité seigneuriale.

La situation, déroulée de par les bouches du Duc et du Méthalurnien, semblait perdue d'avance. Deepika se demanda si, avant de choisir la fuite, tout avait été vraiment tenté ?

Elle regarda les trois hommes. Chacun d'eux semblaient n'avoir qu'une seule issue possible à sa disposition. Pourtant l'Arentèle démontrait toujours que les solutions étaient aussi multiples que les vérités à l'exposant des réalités.

"A [S = (V)R] " murmura-t-elle, avant de sourire l'air désolé aux trois hommes.

Puis, elle trouva un promontoire pour prendre un peu de hauteur, ainsi que de quoi attirer l'attention de tous dans la Halle de Sankt Antha en taper dessus. Elle voulait s'adresser à eux aussi, car la situation les concernait tous.

Jet:

Deepika monta sur une caisse qui se trouvait là et tenta d'attirer l'attention de la foule. Elle pouvait maintenant se rendre compte dans quelle position se trouvait le duc : le chaos régnait dans la foule, comme un essaim de mouches qui venait d'être dérangé. On pouvait grossièrement distinguer des regroupements, mais leurs contours n'étaient pas du tout nets. Finalement, de plus en plus de visages se tournèrent vers elle, plus par surprise que par réel intérêt. Elle avait osé prendre la place du duc. La foule était plus calme que quelques instants auparavant, sans pour autant être à l'écoute. Peut-être qu'elle réussirait néanmoins à attirer l'attention sur elle.

Deepika remarqua également que la foule semblait s'être amenuisée. Apparemment, les personnes commençaient à manquer à l'appel, dans chacun des camps. Certains se préparaient peut-être à la bataille alors que d'autres allaient certainement chercher refuge dans leurs foyers respectifs. Même la fille du duc n'était plus présente, se dit-elle en regardant autour d'elle.

Des conseillers avaient rejoint le duc en voyant la jeune arpenthe monter sur la caisse et chercher l'attention de la foule. Cela aurait invariablement des répercutions sur sa légitimité en temps que seigneur traversier s'il ne prenait pas rapidement des mesures drastiques.

Deepika entrouvrit ses lèvres, mais la foule soudain l'impressionnait. Les enfants de l'Arentèle étaient devant, à se demander ce qu'elle fichait ici. Il fallait se presser, mettre de l'ordre dans son argumentaire. Le temps pressait.

"J'ai d'importantes informations à vous transmettre à tous."

Elle s'éclaircit la voix, et se mit à parler avec plus d'aisance, maintenant qu'elle avait quelques minutes d'attention.

"Le duc et ses conseillers cherchent actuellement une solution pour sauver Sankt Antha, mais nous pouvons les y aider. Sachez tout d'abord que le plus grand péril qui nous attend, ne vient pas des troupes au dehors. Troupes de Weinsert, au demeurant, vos voisins. Elles ne font que profiter d'une opportunité..."

"En effet, depuis plusieurs semaines, quelqu'un de mal intentionné cache dans vos murs, du cuivre volé à Méthalume. Et la grande cité compte bien récupérer ses biens, non sans faire payer à Sankt Antha un très lourd tribu."

"Quand les troupes de Weinsert sauront que celles de Methalume sont en route pour punir Sankt Antha, elles se mettront en retrait."

"Alors, pour Sankt Antha et ses habitants, je vous en conjure, trouvez le ou les coupables de ces affronts faits à Methalume pour les leur livrer avec le cuivre volé. Vous avez sûrement vu ou entendu des choses qui peuvent nous mener directement vers ces responsables qui veulent nuire à Sankt Antha et à vous tous ici."

"Il faudra confondre les coupables avant ce soir, les amener au devant du Duc et ses conseillers, qui donneront leur jugement."

Après le discours de Deepika, il y eut un moment de flottement. Un court instant qui semblait durer une éternité pour la jeune arpenthe. Les visages s'étaient tournés vers elle. Tous. Les regards commençaient à changer. L'avaient-ils écouté ? La voyaient-ils comme la sauveuse tant espérée en cette situation de crise ? Un court instant de légèreté. Avant la chute abrupte vers la réalité.
Les premières accusations volèrent. Tant vers l'arpenthe, lui demandant comment elle pouvait savoir tout cela alors même qu'elle venait d'arriver. Comment elle osait vouloir mettre une telle horreur sur le dos de leurs voisins avec qui ils entretenaient toujours de bonnes relations jusque là. Certains se moquaient d'elle, disant qu'elle était folle, une vagabonde se servant de situations difficiles pour tirer son épingle du jeu.
Mais elle n'était pas la seule cible : les accusations se lancèrent entre les citoyens de Sankt Antha. S'accusant de traîtres, d'infidèles, d'espions ou toute autre calomnie qu'un être humain pouvait envisager en pareille circonstance. Certains commençaient à en venir aux mains et très rapidement la milice dû intervenir pour séparer les premiers. La panique gagnait rapidement l'assemblée et les premiers, hurlants, coururent vers la sortie de la salle communale.
D'autres encore essayaient de calmer la foule et voulaient prêter attention à Deepika, mais leurs appels se perdaient dans la foule en effervescence.

Avant qu'elle n'ai pu réaliser ce qui venait de se passer, Deepika fut flanquée de deux gardes personnels du roi qui l'arrêtèrent pour usurpation non autorisée de l'autorité du duc. La crédibilité de ce dernier avait déjà sévèrement chuté, il n'avait pas le choix que de prendre des mesures plus drastiques pour rasseoir un minimum sa fonction devant le peuple.
Les deux gardes traînèrent Deepika hors de la salle, en direction des cachots.
Une fois sortie, elle entendit deux coups de feu de mousquets dans la salle qu'elle venait de quitter.

Deepika tenta bien de se débattre, de crier qu'ils devaient l'écouter, qu'ils risquaient de tous mourir bientôt... Mais en vain. Elle était bien trop frêle, pour avoir le dessus. Les gardes étaient grands et solides et elle avait beau gigoter, elle ne réussissait pas à les faire dévier de leur trajectoire. Soudain les coups de feu la terrifièrent. Elle regarda tour à tour les deux armoires qui la maintenaient avec force :

"Que se passe-t-il ! Qui tire ainsi ?"

"Peut-être des tirs de sommation… Ou alors ils ont descendu quelqu’un." Ricana le garde à la droite de Deepika sur un ton caustique.

Les deux hommes entraînèrent la jeune arpenthe dans un bâtiment non loin des bordures de la jonction. Une fois passé une première pièce dotée de bureaux métalliques vissés au sol, ils descendirent des marches creusées à même le sol rocailleux. La pierre naturelle se mêlait ici aux pierres de taille, au mélange argileux typique des traverses et au métal tantôt patiné, tantôt rouillé. L’odeur ambiante, due à l’humidité, indiquait qu’ils devaient certainement être proches du niveau de l’écryme.

Deepika en eu la confirmation lorsque ses geôliers la laissèrent dans l’une des cellules métalliques. Seul le mur extérieur était composé de pierres et une petite ouverture bardée de barreaux de fer donnait sur l’étendue d’écryme. Deepika eu un moment de frayeur lorsqu’elle se rendit compte que le sol de sa cellule était plus bas que le niveau de l’écryme. Si une vague devait survenir ou que le mur n’était plus étanche, la pièce entière se remplirait de cette mélasse acide.

Deepika dut attendre de nombreuses minutes, seule avec ses pensées, avant que des pas ne se fassent entendre dans les escaliers.

Les coups de feu eurent au moins le mérite de la calmer complètement. Plongée dans ses réflexions. Se demandant pourquoi les hommes et les femmes évitaient toujours d'entendre ce qu'elle avait à leur dire, pourquoi certains voyaient encore en elle de la malice, là où il ne pouvait y avoir que honnêteté. Elle tenait tant à les sauver... Même ce Duc. Elle aurait retardé un peu son voyage pour les aider à remettre de l'ordre dans la seigneurie.
Ses yeux s'embuèrent, l'injustice mêlée aux vapeurs d'Ecryme brûlait ses joues

Elle colla son dos à un des murs, au cas où des gouttes d'Ecryme entraient par l'ouverture. Elle se mit à chercher un moyen de sortir d'ici, l'Arenthèle avait sûrement prévu une issue pour elle. Mais bientôt, des pas lui firent perdre toute concentration. Elle tendit l'oreille... Et tenta d’interpeller la présence qui se rapprochait.

" Faites-moi sortir, je peux aider Sankt Antha !"

Quel ne fut pas le soulagement de la jeune arpenthe lorsqu'elle vit apparaître dans l'embrasure de la porte le petit homme qui l'avait accompagnée à peine plus tôt. Il s'approcha d'elle en ricanant légèrement "Hé ben, ma p'tite dame, on peut dire que vous en avez une sacrée paire dans le pantalon ! Vous avez beau avoir de bonnes idées, c'est dangereux de vouloir prendre la place du duc devant son peuple sans y avoir été invité et surtout de parler de traîtrise tant par Weinsert que parmi nos propres rangs à une foule déjà proche de la panique. Vous avez créé une sacrée pagaille ! La milice a dû tirer en l'air pour calmer la majorité, mais la tension est à son maximum, m'étonnerait pas qu'on se retrouve avec une petite guerre civile sur les bras en plus de la menace extérieure. Z'auront plus grand chose à faire dans ce cas, haha."

Yoann se mit à ouvrir les barreaux de la cellule de Deepika et lui tendit un large foulard terne. "Dans tous les cas, le duc vous remercie pour le travail que vous avez déjà réalisé pour lui tout à l'heure. Il avait pas le choix que de vous mettre ici pour rasseoir un minimum son autorité et nier ce que vous veniez de dire pour calmer un peu la foule, mais il vous prend bel et bien au sérieux. Bon, personnellement, je vous avoue que je pense qu'il vous en veut un peu, quand même, d'avoir fait ça. Bref, si vous êtes toujours encore d'accord de l'aider, il vous demande si vous voudriez bien élucider cette question de cuivre volé, avec moi. Son règne est certainement fini, peu importe la finalité cet événement, mais il voudrait au moins pouvoir affronter les coupables de tout ce qui arrive en ce moment."

En voyant le libérateur joindre les gestes à la parole, Deepika sentit à peine ses larmes aussi s'évader le long de ses joues. D'un pas prudent, elle s'extirpa de ce cauchemar et rejoignit Yoann pour reprendre leur investigation.

"Que toujours l'Arenthèle mène vous et votre seigneur sur ses chemins les plus protecteurs. Merci ! Merci !"

Après de tels propos, la suite fut pleine d'effusions. Elle le serra dans ses bras aussi sûrement que si il l'avait sauvée d'un direct vers l'ecryme.

Très vite, une fois le trop plein d'émotions évacué, elle reprit le fil de la discussion là où il l'avait abandonné, contraint et forcé.

"Avez-vous un contact capable de nous faire avancer ? Ou avez-vous vu quelqu'un dans la foule sensible à notre appel à témoins ?"

Son enthousiasme se modéra quand elle pensa au duc resté dans la fosse aux lions.

"Ne devrions nous pas mettre en sécurité votre seigneur avant ?"