2ème Flashback - Johanna : Traverser les océans du vide - Terminé

"Enchantée, Máté", répondis-je avec un hochement de tête respectueux.

Je remarquais les sourires en coins, un brin moqueurs, à la proposition de Edward et lui répondis par la négative.

"Je veux être au plus près de l'aérostat pour voir son évolution. Et je veux aussi te garder à l'œil, ajoutais-je d'un ton lourd de sous-entendu. Je ne suis plus une enfant à qui tu peux tout faire croire. Je ferais en sorte que tu puisses te reposer en temps et en heure. Tu es le porteur de ce projet, tu n'as pas le droit de tomber malade d'épuisement. Si tu nous as réunis, c'est pour te soutenir et te seconder, pas pour tout faire tout seul comme à l'accoutumée."

Je me tournais ensuite vers les autres, avec un sourire un peu gêné.

"Je sais que les apparences ne jouent pas nécessairement en ma faveur, qu'elles indiquent clairement que je ne suis pas du même monde que vous. Mais cela ne signifie pas pour autant que je sais pas m'adapter. Je compte bien être présente pour le premier voyage de ce..."

Je m'arrêtais d'un coup.

"Ce ne sera plus vraiment un aérostat, il faudra peut-être lui trouver un nouveau nom, n'est-ce pas ?"

Bosko ne laissa pas le temps à Edward de répondre. "Haha, t'offusque pas pour ça, Jojo. On se moquait pas de toi particulièrement, c'est juste mignon comment Edward veut te paterner, il veut pas que tu finisses comme nous." Il mima un monstre pour accentuer son dernier mot, dans un ton un peu moqueur.
Máté enchaîna tout de suite "Rah, l'écoute pas, Jo, Bosko est un idiot. Edward veut ton bien et c'est bien gentil, mais on sait que tu sauras t'adapter, sinon tu ne serais même pas ici. Crois-le ou non, mais il y a probablement plus de vrais nobles à Ferraille que dans Méthalume. Entre ceux qui viennent pour faire des emplettes, ceux qui veulent se salir les mains, ceux qui ont été rejetés par les leurs... La plupart d'entre nous étaient assis sur ta chaise à un moment ou un autre de leur vie." Máté semblait avoir un caractère bien trempé et ne se laissait pas faire par Bosko. Elle avait probablement l'habitude, à force.
Antal, de son côté, n'avait pipé mot et terminait son repas en observant très attentivement les réactions et les dires de tout un chacun.

Edward reprit finalement la parole "Bon... Eh bien... Revenons à nos affaires. Pour répondre à ta question, Jo, notre projet s'appelle simplement un navire."

Le repas touchant à sa fin, Edward invita tout le monde à retourner au travail et commença à montrer à Johanna, en compagnie de Máté, ce qu'elles allaient devoir faire.

La dernière phrase de Máté me surprit. je regardais les autres membres du groupe avec interrogation, notamment Bosko mais ils étaient potentiellement tous issus de haut lignage comme l'avait sous-entendu la seule femme du quatuor. Je la remerciais avec chaleur, heureuse de trouver un groupe dans lequel qui j'étais ne semblait pas poser de problèmes.

Le repas se termina et j'accompagnais Máté et Edward sur le chantier. J'allais entrer dans cette machine et mon cœur battait la chamade sous le coup de l'excitation.

"Alors, quel sera exactement mon rôle ?"

Edward montra à Johanna et Máté ce qu'il attendait d'elles et elles se mirent aussitôt au travail. Lui-même continua sa propre partie du projet. L'après-midi était rempli de coups de marteau, de bruits de métal, de cris, d'appels, chamailleries pour égayer un peu l'humeur et de beaucoup de transpiration. Les heures passèrent et le travail était plus passionnant que Johanna n'aurait pu se l'imaginer. Jamais elle n'avait travaillé sur un projet de cette envergure.
La soirée commençait à poindre et la fatigue se faisait doucement ressentir. Quand Johanna regardait ce qu'ils avaient réalisé, elle n'en revenait pas qu'autant de travail ai pu être abattu en aussi peu de temps. Elle faisait décidément partie d'une équipe efficace. Toute en sueur, les cheveux collés sur le front et la nuque, elle jaugeait ses comparses pour savoir si la journée de travail se terminait ou non. Edward, de son côté, ne semblait même pas remarquer que le reste du groupe quittait son poste et continuait inlassablement son travail.

La journée s'était écoulée à toute allure et je constatais avec une fierté mêlée de surprise la qualité du travail que nous accomplissions tous ensemble. Je regardais l'état de mes vêtements en songeant avec soulagement que j'avais bien fait d'emmener quelques tenues de travail, hors de question de travailler en robe ! Cela faisait longtemps que je n'avais plus porter de pantalons, je me sentis un peu bizarre au début, mais l'habitude revint assez vite. Malgré tout l'enthousiasme dont je pouvais faire preuve, j'accueillis la fin de la journée avec joie. Mes cheveux désormais noués en queue de cheval pour me pas me gêner collaient atrocement à ma peau et je n'avais qu'une envie, me débarbouiller.

C'est au moment de partir que je remarquais Edward. Je prévins Máté de ne pas m'attendre et je partis rejoindre cet entêté qui n'avait jamais su s'arrêter. Je lui tapotais sur l'épaule pour attirer son attention et le regardais d'un air faussement sévère.

"Tu m'as promis de te coucher plus tôt et d'avoir une vraie nuit de sommeil. Est-ce que je vais devoir t'attacher à ton lit afin de m'en assurer ? Les autres n'osent peut-être pas te le demander, ce qui tombe bien : je ne suis pas les autres, je suis moi et si j'ai hérité d'un minimum d'autorité de Grand-père, je trouve malheureux de devoir l'utiliser sur toi !"

Je lui souris, attendant sans bouger qu'il se décide à me suivre.

"Allez viens, je suis pratiquement persuadée que Bosko rêverait que je l'attache, lui, alors évitons de le rendre jaloux", dis-je en tirant la langue.

Comme plus tôt dans la journée, quand il observait l'écryme, Edward sursauta au contact de Johanna. Il eu a nouveau la même expression vide, choquée, interrogative, quand il vit son visage, comme s'il ne se souvenait plus, l'espace d'un instant, qui elle était "Johanna..." Son murmure semblait avoir plus pour but de lui rappeler qui elle était plutôt que de l’interpeller.
Il mit un temps un peu long avant de continuer "Oui... Oui, Johanna, c'est vrai, tu as raison... Dormir... Je devrais dormir." Il regarda le navire en construction, le regard triste, regarda à nouveau Johanna, puis le navire. Il semblait presque jauger s'il devait aller se coucher ou continuer de travailler. La promesse qu'il fit à jeune dame l'emporta finalement "Oui, c'est vrai, je te l'avais promis, allons-y."
Le vieil homme ne se leva que doucement, douloureusement, et ne sembla même pas avoir compris la blague que lui avait envoyé Jo.

"L'eau est rationnée sur Ferraille, mais on a de quoi faire une toilette sommaire chaque jour et se laver entièrement une fois par semaine. Je suis désolé pour ces conditions, mon amie, je sais que tu es habituée à autre chose." Sa voix était un peu distante et son discours monotone, comme s'il récitait une litanie qu'il avait apprise par cœur et qu'il rendait sans y croire.
Les autres membres de l'équipage les observaient de loin, en silence, l'air aussi curieux que triste. Même Bosko ne tirait pas la moindre mine railleuse ni ne dit mot en voyant cette procession.

"Ne t'inquiète pas pour moi, lui dis-je, un pincement au cœur, c'est de toi qu'il faut prendre soin aujourd'hui."

Je regardais le groupe qui nous suivait du regard, plus précisément Bosko puisque c'est lui qui m'avait prévenue. Je ne comprenais pas ce qui lui arrivait et, à dire vrai, cela m'effrayait. S'il continuait ainsi, Edward se tuerait à la tâche et cela aurait de graves conséquences sur tout ce qu'il a déjà réalisé. Je l'accompagnais jusque dans sa chambre, l'aidais à se mettre à l'aise, le bordais même. Je cherchais une chaise ou un tabouret pour m'asseoir à ses côtés jusqu'à ce qu'il s'endorme.

Edward remercia Johanna. Il ne l'avouait pas, mais il était complètement épuisé. Une fois couché et que sa tête toucha l'amas de tissu sale qui lui servait d'oreiller, il s'endormis quasiment aussitôt. Il pu juste dire un vague "C'est d'elle qu'il faut prendre soin." à peine perceptible avant de s'en aller pour les bras de Morphée.

Elle ? de qui parlait-il ? Je n'en avais pas la moindre idée, tout ce que je désirais, c'étais qu'il se repose enfin. Ce ne fut qu'une fois certaine qu'il dormait que les larmes coulèrent sur mes joues, à ma grande surprise. Grand-père ne voulait que l'on pleure ; pour lui, c'était un aveu de faiblesse et un levier que l'on pouvait retourner contre nous. Quand il interrogeait des suspects, il y a des années de cela, il brisait les gens au point qu'ils en pleuraient, il y avait gagné une réputation terrible qui le suivait toujours. De cette façon, ceux qu'il interrogeait devenaient plus malléables, plus coopératifs, simplement pour que cela s'arrête. Je me mordis les lèvres à ce souvenir et séchais mes larmes d'un revers de main. Je me levais en tremblant, sans un bruit puis quittais la petite chambre d'Edward. Je me hâtais de rejoindre les autres, décidée à comprendre ce qui arrivait à mon ami.

Arrivée à leur hauteur, je les regardais tous les trois tour à tour.

"Depuis combien de temps est-il comme ça, demandais-je sans parvenir à masquer les trémolos dans ma voix. Et il m'a parlé d'"elle". Qui est-ce ? Et..."

Je me retins d'en dire plus. Sous le coup de l'émotion, on avait vite fait de dire des choses que l'on ne pensait pas et qui pouvait être mal interprétés.

Quand Johanna vint poser ses questions, Bosko s'en alla tout simplement, presque en colère.
Antal, fidèle à lui-même, ne dit rien et regarda simplement Máté répondre, la voix tant triste que sérieuse "Cela fait maintenant quelques jours. À peine une semaine. Il se tuait déjà à la tâche avant, c'est vrai, tu le sais certainement, mais depuis ce jour-là, c'est devenu pire. Tu sais qu'on prend commande de petites besognes pour financer le projet. L'un de ces commanditaires était un jeune garçon d'une quinzaine d'années tout au plus. Un petit blond tout ce qu'il y a de plus innocent. Enfin... Aussi innocent qu'un garçon de 15 puisse puisse être à Ferraille. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour-là, Edward a changé. Il a créé une sorte de mécanisme pour le gamin qui nous a bien payé. Depuis ce jour, il est devenu plus renfermé, a des moments d'absence, et passe quasiment tout son temps libre à regarder l'écryme ou son navire. Il lui arrive même parfois de dormir dedans. Pour les quelques pauvres heures qu'il arrive à dormir. D'ailleurs, tu devrais trouver de quoi protéger tes oreilles, si tu veux pouvoir dormir. Il fait de sales cauchemars, depuis ce jour là. J'ai l'impression que le gamin lui a rappelé des souvenirs enfouis depuis bien longtemps."

Je ne compris pas le départ de Bosko qui me laissa presque désemparée jusqu'à ce que Máté m'explique enfin. Bien sûr, je n'ignorais pas ce qu'il en était lorsqu'il avait un projet en cours, mais là, ça dépassait tout simplement le bon sens.

"Un mécanisme ? répétais-je, abasourdie. Quel genre de mécanisme ? À quoi devait-il servir ?"

Máté regarda Joanne d'un air un peu interrogatif, la dernière question lui semblait insolite "Eh bien, je ne sais pas trop, à vrai dire. Tu sais, on fabrique pas mal de petits mécanismes, peu importe leur utilité, généralement c'est pour de riches commanditaires qui veulent améliorer leur quotidien. La semaine dernière j'ai même fabriqué une machine à préparer automatiquement le thé. Je suis sûr que le snobinard ne s'en servira pas plus d'une semaine. Mais bon, ça nous permet de subsister." finit-elle sur une note amusée.

Du fond de la pièce d'Edward, des sons se faisaient doucement entendre. Il semblait rêver. Il émettait de petits bruits et grognements. "Ça commence" commenta Máté sur un ton grave.

Ce qu'il avait fabriqué ne semblait pas avoir une grande importance, peut-être était-ce ce garçon alors ? Je me détendis en écoutant Máté pour me raidir de nouveau en entendant Edward remuer. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'il soit dans cet état ? Si l'on ne trouvait pas de solutions, à terme il risquait de finir entre les mains d'aliénistes et finir sa vie misérablement.

"On doit trouver un moyen de l'aider", murmurais-je. "Je lui parlerai demain, espérons qu'il parviendra à se reposer un peu d'ici là."

La tension était toujours présente, mais je sentais la fatigue me rattraper avec une certaine brutalité. j'étouffais un bâillement en m'excusant.

"Enchaîner une journée de travail après un voyage aussi long m'a épuisé. Tu... Tu crois qu'on peut le laisser et aller dormir ?"

Je me sentais coupable alors même que je me savais trop fatiguée pour l'aider davantage ce soir.

"Je comprends ton inquiétude, on l'était aussi au début. Malheureusement, on sait pas ce qu'il a, il ne nous dit rien. Peut-être qu'à toi il t'en dira plus, parce qu'au final, Edward, on le connaît pas depuis si longtemps que ça. Il trouvera un peu de repos au fil de la nuit et il sera en meilleurs état demain matin que tu ne l'as vu tout à l'heure, mais attends-toi à ce qu'il te réveille de temps en temps." Máté semblait aussi triste que désolée, mais repris rapidement son sang froid. Elle avait appris à ne plus se préoccuper des problèmes qu'elle ne pouvait résoudre.
"Tu devrais aller te coucher, toi-aussi" ajouta-t-elle, sur un ton amical "demain sera à nouveau une grosse journée, et tu as besoin de repos. Tu peux aller faire ta toilette dans la pièce au fond, si tu veux." suggéra-t-elle en montrant du doigt la dernière pièce à côté des chambres. "Bonne nuit, Jo."
Máté alla se coucher sous les râles étouffés d'Edward.
Discret, Antal avait suivi toute la conversation, se dérobant à l'attention de tout le monde. Il effraya presque Johanna en lui souhaitant une bonne nuit, lui rappelant ainsi sa présence.
Bosko était déjà dans sa chambre, la porte fermée.

Le hangar se vidait doucement. Tandis que Máté et Antal rejoignaient leurs couches respectives, il ne restait plus que Jo et l'aérostat-navire.

Pas vraiment rassurée par les dires de Máté, je lui souhaitais bonne nuit. Je me rendis dans la fameuse pièce pour un brin de toilette tout en réfléchissant à cette journée ainsi qu'à Edward. Son état était préoccupant et les autres ne savaient pas quoi faire pour l'aider, ce serait donc à moi de faire mon possible pour résoudre son problème. Une fois nettoyée et à peu près sûre de ce que je comptais faire, je rejoignis mon lit en traînant des pieds, cela faisait longtemps que je n'avais pas été épuisée comme cela, mais je faisais quelque chose qui me plaisait, je classais donc cela dans les bonnes fatigues. Arrivée dans ma chambre, j'ôtais ma tenue de travail avec lassitude et récupérais une chemise de nuit dans ma valise. Je me glissais sous les draps sans plus de cérémonie, tendant malgré tout l'oreille aux bruits environnants avant de m'endormir rapidement.

Cette journée aurait été parfaite sans les soucis qui accablaient Edward.

La toilette de Johanna était plus que sommaire : elle disposait d'un bol d'eau et d'un petit savon pour toute toilette. Elle comprenait soudainement bien mieux l'état général de ses collègues.
En enfilant sa robe de chambre elle pensait au fait qu'elle allait très bientôt être dans le même état que tout autre morceau de tissu dans ce hangar. le monde ici était vraiment différent de celui qu'elle avait connu jusque là.

Le corps lourd, elle sombra finalement enfin dans un sommeil bien mérité.

Les cris la réveillèrent en sursaut; le cœur battant la chamade. Elle mit un certain temps à comprendre ce qui se passait. C'était Edward. Il hurlait à la mort.
"NOOOONNNN NOOONNNNN. S'IL VOUS PLAÎT ARRÊTEEEZ !!!" Il semblait tant pleurer que crier. Ses appels déchiraient le cœur de Johanna.

Je me réveillais en sursaut, le cœur battant à tout rompre, les cris d'Edward m'avaient tirée subitement du lit et je me précipitais à son chevet. Que pouvais-je bien faire pour l'aider ? Je tirais de nouveau le tabouret jusqu'à son lit pour m'asseoir et lui pris la main, de force s'il ne se laissait pas faire.

"Chuuuut, murmurais-je en tentant vainement de contenir l'angoisse qui sourdait dans ma poitrine, calme-toi, ce n'est qu'un rêve, un simple rêve..."

Les cris du vieil homme glaçaient le sang de sa jeune amie.
Quand elle lui prit la main et lui parlait, cela semblait le calmer suffisamment pour que ses cris les plus forts cessent. Il continua cependant à pleurer d'autant plus, recroquevillé sur lui même, agrippant mollement la main de Johanna.
Il sanglotait comme un enfant "Non, s'il vous plaît... Maman..."
La vision d'Edward dans cet état était le plus triste que Johanna ai pu voir dans sa courte vie.

Le voir dans cet état me donnait envie de pleurer. Je n'en fis rien cependant, me laisser aller ne l'aiderait en rien, aussi préférais-je écouter ce qu'il disait. Il parlait dans son sommeil, ce qu'il disait semblait cohérent. Était-ce un simple cauchemar, des réminiscences de son passé, ou autre chose ? un frisson me traversa l'échine. Je n'étais pas particulièrement croyante, au contraire de Julia qui s'était convertie au culte de Malachine, un de nos nombreux points de divergence. Non pas que je n'y croyais pas, mais plutôt parce que je ne m'y étais jamais véritablement intéressée. La foi en des choses qui nous dépassait ne me correspondait pas tant que cela. Mais voir Edward se lamenter comme un enfant, implorant sa mère, me donnait envie de prier pour sa guérison.

Je ne connaissais cependant aucune prière et je ne voulais pas improviser quoi que ce soit, pas maintenant. Je ne voulais pas non plus me laisser distraire par des considérations bien loin de mes préoccupations actuelles. Je restais donc et tendis l'oreille, écoutant les mots d'Edward. J'attendis qu'il se calme tout à fait avant de regagner ma chambre, percluse de fatigue.

Edward se calma peu à peu avec la présence de Johanna. Les sanglots se tarirent et c'est un presque inaudible "Blanche" qu'il se rendormit enfin.
Johanna pu finalement rejoindre sa couche et tenter de se reposer.

La voix de Bosko fut la première qu'elle entendit le lendemain matin quand il tambourina à la porte et l'appela sur son ton railleur "Holà, la belle, la journée commence, le projet n'attend pas, on y va !" Dans son esprit elle voyait très bien le sourire que devait porter le bellâtre.
La nuit était relativement courte, même si Bosko n'a pas été réveillé par Edward. Comment pouvait-il avoir autant d'énergie si tôt ?
Quand Johanna se leva, elle se rendit compte qu'elle était la dernière à se lever. Tout le monde était déjà à table en train de prendre un semblant de petit déjeuner. Le soleil commençait doucement à baigner le hangar d'une lueur rougeâtre à travers la porte ouverte qui menait sur l'écryme. La lumière se réverbérant sur le cuivre de l'aérostat offrait un spectacle d'une rare beauté. Ainsi donc la vie traversière offrait des moments que ne connaissaient pas les citadins !
Le soleil perçait à peine les nuages des usines de Méthalume dans les meilleures conditions. Johanna n'avait jamais rien vu de tel.

"J'arrive", répondis-je d'une voix ensommeillée.

La nuit avait passé à une telle vitesse que l'impression persistante d'avoir fermé les yeux seulement cinq minutes plus tôt persista un long moment dans ma conscience engourdie. Je me levais paresseusement et m'étirais en bâillant et mon premier réflexe fut d'attraper mon miroir que bien entendu je n'avais pas emporté avec moi. Repensant à la nuit de la veille, je me dis que cela valait sans doute mieux ainsi, je ne devais probablement pas être très belle à voir au saut du lit. J'enlevais ma chemise de nuit pour enfiler comme la veille ma tenue de travail déjà bien tâchée par la première journée de labeur et si hier soir je m'étais récuré autant que possible, je doutais de produire le même effort d'ici une semaine.

Finalement prête je rejoignais le reste du groupe déjà attablé. Je saluais tout le monde avec un sourire encore un peu endormi et regardais avec insistance Edward. Comment avait-il pu me cacher cela ? Où plutôt, pourquoi ? La mine boudeuse, je m'installais et vis, sans doute pour la première fois, un véritable lever de soleil. Je restais interdite un instant en repensant aux épais nuages de pollution qui survolaient en permanence Méthalume et me surpris à rêver au crépuscule et à sa beauté. La vie était certainement bien plus austère ici sur bien des points, mais elle avait tout de même certains avantages. Je cillais et reportais mon attention sur mon assiette, souhaitant "bon appétit" à tout le monde. Je mangeais le peu qu'il y avait, me promettant de payer ma part pour le soir afin d'offrir un vrai repas aux gens qui m'avaient accueillis aussi gentiment. Mais avant cela, j'avais énormément de questions en suspens.

"Edward, dis-je en relevant la tête dans sa direction, je pourrais te parler tout à l'heure, à la pause ? C'est important."

Edward acquiesça la demande de Johanna non sans un air étonnant, ne sachant ce que Johanna puisse bien vouloir lui demander.

Le restant de la matinée se poursuivit sans le moindre problème. Les travaux avançaient rapidement, comme l'après-midi de la veille. Johanna travailla de nouveau avec Máté. Elles formaient une bonne équipe ensemble. Máté était franche, ne retenait pas ses propos, sans pour autant être méchante. Elle était pragmatique quand il s'agissait de communiquait et aimait aller droit au but.

Les grognements des ventres creux rappelèrent à tout le monde la venue de midi et leur première et seule pause de la journée avant la fin du soir. Antal alla à nouveau chercher le repas, comme à l'accoutumée.

La mâtinée avait été aussi riche en activité que la veille et je l'avais passé entre diagnostique, préparation et assemblages des pièces nécessaires. Avec Máté nous avancions rapidement, trouvant bien vite un rythme nous correspondant à toutes les deux. Quelques fois Bosko venait aux nouvelles puis repartait une fois celles-ci prises. Étant la petite nouvelle, j'étais gentiment taquinée mais cela permettait à l'atmosphère de restée détendue bien que studieuse. Je pensais que nous pourrions facilement devenir amis tous ensemble, à condition sans doute de noyer les aspirations du beau mâle qui me regardait complaisamment, encore que ce n'était pas si désagréable. Du fait de mon nom de famille, les garçons de mon âge avaient tendance à reculer et à m'observer de loin, de peur de représailles aussi douloureuses qu'inventées. Il n'y avait finalement eu que Gatien pendant tout ce temps.

Penser à lui détourna mon attention l'espace d'une seconde suffisante pour laisser échapper la clef à molette que je tenais et qui alla s'écraser sur mon pied. Je sautillais de douleur sous le regard amusée de mon binôme qui s'apprêtait à me parler quand la pause de midi fut décidée, enfin. Je m'épongeais le front en posant ma trousse à outils, songeant que ce soir mon apparence ne différerait plus de celles du reste du groupe. Sortant de la carcasse par la trappe aménagée pour cela, je me hâtais de retrouver Edward. Le connaissant, il avait certainement déjà oublié que je voulais lui parler. Il avait sans doute également oublié qu'il était l'heure de manger.

Je le trouvais, comme la veille, au bord de l'écryme. Je n'étais pas loin de trouver cela morbide, surtout après l'avoir entendu cette nuit. Je m'installais de nouveau près de lui, profitant de l'air frais, du soleil et d'une pause bien méritée.

"Ça ne va sûrement pas te plaire, commençais-je, mais il faut qu'on crève l'abcès. Si tu meurs à la tâche, personne ne viendra te remplacer." Je me rendis compte que mon ton était sans doute trop dure et je reconnus dans mes intonations celles de Grand-père. Je repris plus doucement : "Dis-moi, qui est cette Blanche qui hante tes cauchemars, la nuit ?"'

Spoiler:

Jet:

Edward ne détourna pas son regard de l'écryme à la question de Johanna. Il se contenta de soupirer, il savait qu'il devrait lui parler. Il le savait au moment où il lui avait demandé de venir. C'est peut-être même pour cela qu'il l'avait fait... "Ce n'est pas Blanche qui hante mes nuits... C'est mon passé. Mon enfance... Mon chien de père..." Johanna sentait l'amertume d'Edward, sa colère, sa profonde tristesse. Ses émotions étaient quasiment palpables et elle avait du mal à ne pas se laisser submerger par elles.
"Mon père me donnait régulièrement à une sorte de Loge renégate qui faisait des expérience sur les enfants, pour tester l'effet que le métal peut avoir sur eux, s'il était possible de développer un lien empathique avec lui. Ils mélangeaient aussi régulièrement le métal à de l'écryme, nous en faisait manger, nous l'enfonçaient sous la peau, l'électrifiaient avant de nous y connecter... Cela durait des heures, des jours interminables. Pendant des années j'ai subit cela. Et je n'étais pas seul. Ces souvenirs m'ont laissé tranquille pendant de nombreuses années mais... depuis quelques jours, les cauchemars sont revenus."

Je m'étais attendu à beaucoup de choses, mais certainement pas à cela. Si je me doutais qu'Edward ne m'avait pas tout dit, je n'étais pas certaine de vouloir en connaître davantage. C'était juste monstrueux.

"Comment ton père a-t-il pu t'infliger cela ?..."

Moi qui me plaignait des ingérences de Grand-père dans ma vie, je constatais que ce n'était finalement que de légers désagréments en comparaison des souffrances de mon mentor. je déglutis, absorbais le choc de la terrible révélation.

"Máté m'a dit que tu avais fabriqué un mécanisme pour un garçon juste avant que tes cauchemars ne reviennent, penses-tu qu'il puisse y avoir un lien ? Peut-être as-tu ressenti quelque chose, ou t'es-tu rappelé quelque chose à ce moment... ?"