5ème Flashback - Anya : Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte - Terminé

Anya prit la fuite sans demander son reste. Sa main agrippa une plaque d'argile pleine de quelques inscriptions faites par le médecin, qu'elle lança dans sa direction. Elle heurta le poursuivant au niveau de la poitrine. Il en fut légèrement ralentit, mais il en fallait plus pour qu'il s'arrête. S'époumonant toujours, il repris rapidement sa poursuite.
De son côté, l'avocate-duelliste se rua sur la porte. Elle voulu l'ouvrir, en vain. Elle dû y employer toute sa force, la tirer à deux mains par à-coups, pour qu'elle daigne s'ouvrir doucement, sous la plainte assourdissante de gonds rouillés. La porte finalement suffisamment ouverte, elle s'engouffra dans la fente et évita de justesse un coup de couteau. Elle prit ses jambes à son cou en direction de sa chambre. Le couloir semblait long, sombre, interminable. Elle entendait les grincements d'un sol mal entretenu sous certains de ses pas. Même les tapis semblaient sales et déchirés par endroits. Les lumières vacillaient sous la faiblesse de l'énergie électrique et les minuscules fenêtres permettaient à peine de voir la noirceur de la nuit dehors. Le couloir semblait étroit, tellement étroit, elle en frôlait presque les parois de ses épaules. Elle semblait courir une éternité. Elle connaissait le chemin par cœur et savait qu'elle ne s'était pas trompée, mais la course lui semblait ne jamais s'arrêter. Elle était complètement essoufflée lorsqu'elle tira la petite porte de sa chambre à la poignée en étain patiné. Ses poumons étaient en feu et ses jambes voulurent l'abandonner. De mémoire, jamais sa vie ne s'était jouée de si peu. Même pour son travail.
Ce n'était que maintenant qu'elle se rendait compte qu'elle n'entendait plus rien. Pas de poursuivant, pas de cris, rien. Depuis longtemps. Elle n'était même pas sûre si Yunus l'avait poursuivie en dehors de sa chambre.
Sa chambre... Anya regardait sa chambre, à présent, seul ancre qui semblait lui rester. Et pourtant, quelque chose lui semblait différent. La fenêtre avait-elle toujours été aussi petite ?

C'était n'importe quoi, voilà quelle fut la première pensée d'Anya alors quelle reprenait difficilement son souffle. Rien n'était cohérent, absolument rien ! Que ce soit le comportement de Yunus, la maison, plus rien n'allait. Une boule d'angoisse se formait dans sa gorge alors que ses yeux la brûlaient. Elle les frotta d'une main rageuse, dispersant les premières larmes sans en comprendre la signification profonde. Elle avait envie de hurler, mais là encore, tout en elle le lui interdisait, lui intimait le calme. La logique, elle devait trouver la logique derrière tout cela. Son univers était peut-être le pire des mensonges, il lui avait également enseigné à se contrôler. Elle ferma la porte de sa chambre derrière elle et cala une chaise sous la poignée. Elle récupéra également sa rapière, la logique ne la protégerait pas d'un fou furieux armé d'un couteau.

"Ne me regardez pas !!"

Les mots de Yunus la glaçaient jusqu'au sang, mais il y avait certainement une signification derrière. Aimé s'était lacéré le visage, elle n'avait pas vérifié si ses yeux étaient blessés.

Ses yeux...

Aimé avait les yeux gris. Ceux de Yunus, bruns. Pourtant, alors qu'il perdait la raison, ses yeux étaient devenus ceux d'Aimé. Elle doutait de plus en plus d'avoir jamais quitté le rêve, pourtant elle avait ressenti la douleur. Pouvait-on avoir mal lorsque l'on dormait ? Elle se releva et attrapa une plaque d'argile. Elle y inscrivit, d'une écriture nerveuse et incertaine :

Loge des Effluents : Quel rapport avec moi. Cobaye ? Qu'ai-je subi ? Qui suis-je ? Que me voulait Aimé ?
Loge des Mélangeurs : Yunus en fait partie. Que faisait-il ici ? Que m'a-t-il fait exactement ? Suppression de mes souvenirs ? Occultation ? Dissimulation ?

Elle ne desserra les lèvres qu'une fois sa prise de note achevée. Elle glissa la tablette dans une poche et s'inquiéta enfin du silence bien trop lourd qui régnait ici. Elle imaginait déjà Yunus enfoncer sa porte à coup de hache avec un sourire malsain* et frissonna à cette vision. Déglutissant avec peine, une migraine colossale et le cœur battant, elle dégaina son épée de la main droite, attrapa une lanterne ou, à défaut, une bougie pour s'éclairer de l'autre, et s'apprêta à arpenter les couloirs de la maison afin de vérifier comment se portaient ses autres résidents. Quelqu'un cherchait à jouer avec ses nerfs, il comprendrait bien vite qu'il valait mieux ne pas aller trop loin dans la plaisanterie. Soudain, son attention se reporta sur la fenêtre. Pourquoi ne faisait-elle plus la même taille ? Avec une appréhension grandissante, elle regarda au travers. Elle savait ce qui se trouvait normalement derrière : le jardin, une vue qui lui avait toujours procuré un certain réconfort. Pourtant, en cet instant, elle doutait de voir ce à quoi elle s'attendait...

Spoiler:

Le cœur serré à l'idée de ce qu'elle allait découvrir en regardant à travers la petite fenêtre, Anya se rendit compte qu'elle était sertie de barreaux. Des barreaux ! Elle était certaine qu'il n'y avait jamais eu de barreaux à cette fenêtre. La vue, par chance, était toujours celle qu'elle avait connue, mais la vision des barreaux la fit déglutir. Elle se sentait presque comme emprisonnée.
Dehors, il n'y avait toujours pas de bruit, aucun pas ne résonnait dans ce couloir étiré.
C'est alors qu'un autre cri d'effroi se fit entendre dans la maison, plus loin cette fois.

La gorge sèche, Anya toucha le métal froid des barreaux. Il était désormais clair qu'elle n'arrivait plus à discerner le rêve --ou plutôt le cauchemar-- de la réalité. La tête lui tournait alors qu'elle cherchait vainement à comprendre ce qui lui arrivait. Elle ne parvenait plus que difficilement à garder son calme, son vernis craquelé menaçait de voler en éclat d'un moment à l'autre, il ne fallait désormais plus qu'une simple pichenette. Une sueur froide et poisseuse dégoulinait dans son dos et sur son front, elle se sentait fiévreuse, nauséeuse, au bord de la rupture. C'est là que le cri retentit. Son sang ne fit qu'un tour et elle pointa son épée vers la porte. Le cœur battant à tout rompre, elle alla ouvrir la porte. Qui avait crié de la sorte ? Elle prit sa lanterne de l'autre main et tenta de se diriger vers la source de cette nouvelle source de peur.

Jet:

Anya avança doucement dans le couloir sombre, l'épée dans une main, la lanterne dans l'autre et une énorme goutte de sueur qui lui courrait sur le visage.
Elle s'avançait dans ce lieu étrange que pourtant elle devait connaître. Elle appréhendait la découverte qu'elle allait bien pouvoir faire autant que le retour de Yunus.
L'ambiance était étrange. Le couloir lui semblait toujours encore anormalement long. Elle mit plusieurs minutes à parcourir une distance qu'elle aurait dû pourtant couvrir en quelques secondes. Ou n'était-ce que sa prudence exacerbée par les événements récents qui lui donnaient cette impression ?

Anya déboucha dans le salon, une pièce normalement plus grande que maintenant, des fauteuils étrangement usés, une tapisserie salie et un tapis vieilli. Le cornet du phonographe semblait patiné et recouvert d'une très fine couche de poussière. La lueur des quelques lampes électriques ne semblait pas décidée à éclairer les lieux. Mais tout cela n'était rien comparé à l'horrible découverte que l'avocate-duelliste venait de faire : le majordome gisait là, sans vie, à côté de son plateau et de verres brisés, les yeux lacérés par de trop nombreux coups venant probablement du couteau planté dans sa poitrine percée à de multiples reprises.
La vision d'Anya se faisait trouble face à tout cela. Là seule chose qu'elle put encore distinguer était que le couteau ne ressemblait pas à celui que Yunus tenait dans ses mains lorsqu'il s'était lancé sur elle. Et le salon se trouvait dans une autre aile de la maison. Ce n'était donc probablement pas lui. Mais les yeux lacérés étaient une vision aussi étrange qu'horrible. Les paroles de Yunus lui revinrent à l'esprit. Était-ce quand même lui ? Une autre personne de la maison voudrait-elle s'en prendre aux yeux des autres ? Cette seule idée fit trembler Anya de la tête aux pieds.

La vision du cadavre du majordome aux yeux lacérés et au corps poignardé à de multiples reprise arracha un frisson Anya. Ce n'était pas le couteau de Yunus, mais ce n'était pas pour autant qu'il était innocent, pas après ce qu'il avait failli lui faire.

Ne me regardez pas...

La blessure correspondait à ce qu'elle avait imaginé subir. La déduction était loin d'être rassurante, pas plus qu'elle permettait l'élucidation de toute cette affaire dont les racines prenaient naissance des années auparavant. Plus elle réfléchissait, plus une évidence se fit : si elle voulait protéger les quelques résidents de la bâtisse, elle allait devoir tous les réunir au même endroit. Elle décida d'aller trouver la seule personne qu'elle n'avait pas revu depuis ses visions : Félicia. Ce qu'elle avait lu dans les dossiers d'Aimé lui rendait la femme encore plus étrange qu'elle ne l'était, et, au point où Anya en était, étrange devenait de plus en plus synonyme de danger.

L'esprit embrumé par ce qui se passait, Anya s'engouffra dans le dédale de couloirs étriqués et de chambres étouffantes qu'était devenue la maison de M. Murdzek. S'y repérer devenait de plus en plus difficile et étrange. Elle connaissait la maison depuis des années, comme le revers de sa poche, mais ce soir, durant ce cauchemar qu'elle était en train de vivre, elle semblait ne plus s'y retrouver.
Au bout de trop longues minutes elle s'approcha enfin de la chambre de Félicia. Juste avant de tourner au coin du couloir pour y arriver, elle entendit une porte se fermer. Elle vit, en s'engageant dans le couloir, Alicia, la servante, disparaître dans le couloir plus loin. Elle sortait manifestement de la chambre de la dame de compagnie d'Aimé mais ne semblait pas avoir remarqué la présence de l'avocate-duelliste.

Que venait faire Alicia ? En d'autres circonstances, Anya ne se serait sans doute pas méfié, mais les événements qui se succédaient, par trop étranges et morbides, lui prouvaient qu'il ne fallait plus se fier à quiconque dans cette maison qu'elle ne reconnaissait plus, cela sans même tenir compte de son architecture fantasmagorique. Elle se sentait tiraillée cependant : devait-elle d'abord vérifier comment allait Félicia, quitte à perdre de vue la servante ou suivre cette dernière et revenir vers la dame de compagne plus tard ?

Bon sang...

L'avocate-duelliste serra les dents. Si elle avait pu compter sur l'aide d'au moins une personne, tout aurait été tellement plus simple ! Elle ne pouvait malheureusement espérer l'aide de personne, pas plus qu'elle n'avait la possibilité de se couper en deux --à moins de laisser faire Yunus. Cette pique teintée d'humour noir fit trembler la jeune femme. Elle avait l'impression de changer et cela ne lui plaisait pas. Même si elle était de plus en plus persuadée d'avoir été conditionnée pour devenir ce qu'elle était aujourd'hui, c'était devenu une sorte de cocon réconfortant avec le temps. Ne rien ressentir la préservait de la tristesse, de la colère, de la peine, de la haine. Elle ne pouvait cependant pas éprouver davantage la joie ou le simple contentement.

Une poupée humaine.

Elle se crispa davantage alors que des émotions qu'elle n'avait probablement jamais ressenti de sa vie se manifestaient de plus en plus violemment. Puis, cédant à l'impulsion du moment, se mit à la poursuite d'Alicia.

Jet:

Anya se lança à la suite de la servante d'Aimé. Elle se dépêcha de la rattraper, passa à côté de la porte de Félicia et s'engouffra dans le couloir de gauche. Non seulement il semblait encore plus étriqué que les précédents, mais aussi beaucoup plus sombre. Il semblait terminer dans un noir absolu, noir dans lequel elle ne pouvait que voir la servante comme si elle était éclairée par une lumière vive. Elle semblait tellement loin, pourtant, comment avait-elle pu se déplacer si vite ? Alicia bifurqua dans un nouveau couloir sur la droite et disparu derrière un coin aussi sombre que le couloir, elle semblait presque se faire aspirer par le mur.
Plus inquiétant encore, Anya pouvait voir des petites gouttelettes de sang sur le sol, tout le long du couloir en direction de la servante.

Cette étrange filature lui rappelait un vieux conte, celui d'une jeune fille qui poursuivait un lapin blanc dans son terrier, à ceci près que le terrier n'avait pas été conçu dans le but de la rendre folle. Alicia avait disparu dans un couloir plus sombre qu'une nuit sans lune et sans étoile, une obscurité capable de vous vider de votre substance, de vous broyer mentalement puis de recracher votre carcasse vidée de tout ce qui faisait de vous un être vivant et conscient. Actuellement, Anya était justement bien trop consciente des limites de son action actuelle et se demandait si la sagesse n'ordonnait pas plutôt de fuir. Son instinct et sa raison menaient un grand débat sur ce qu'il convenait de faire maintenant, sans qu'il soit véritablement possible de savoir qui était pour quoi. Le chaos qui régnait dans sa tête se mesurait à l'aune du danger que représentait le manoir --si c'en était toujours un.

Elle parvint à faire un pas en avant. Qui l'avait emporté au final ? Aucune importance, se dit-elle. Tant qu'elle parvenait encore à prendre des décisions, cela signifiait qu'elle pouvait survivre à ce cauchemar. Lampe en avant, rapière prête à frapper d'estoc, elle s'avança, suivant les traces de sang.

Anya s'enfonça dans la noirceur de ce que sa logique lui dictait devait être un couloir. Sa raison, elle, ne savait plus trop quoi en penser. Au final, Anya agissait probablement plus par une sorte d'instinct déboussolé que par une prise de décision réfléchie. Ce qu'elle voyait ne répondait plus aux lois de la physique. Tout était entièrement noir. Il n'y avait plus la moindre lumière. Elle voyait certes sa lanterne, allumée, mais les rayons lumineux qu'elle émettait n'éclairaient absolument rien. Outre le sang, elle ne voyait qu'Alicia, au loin, à une distance complètement démesurée. Elle ne s'approchait jamais plus d'elle que le bout du couloir, elle disparaissait à chaque fois derrière un nouveau coin. Cette abominable farce durait de si nombreuses minutes qu'Anya ne sut dire depuis combien de temps elle poursuivait la servante. Elle ne savait même plus quelle heure il pouvait bien être. Elle se rendit alors compte qu'elle n'avait même plus rencontré de fenêtre dans ces couloirs si étroits depuis bien longtemps, maintenant. Elle n'avait plus la moindre indication d'heure, à présent.
Durant tout ce temps, elle put suivre les traces de sang comme un fil d'Ariane à la poursuite. Elle ne se rendit compte que maintenant que ces traces dégageaient de petites fumerolles. Elle ne s'était pas aperçue qu'elles étaient devenues de petites gouttes et traces d'écryme.
C'est au détour du dernier couloir qu'elle vit finalement Alicia, au loin, disparaître derrière une porte, elle aussi étrangement visible.

Anya déglutit lorsqu'elle se rendit compte de ce en quoi s'étaient muées les gouttes de sang. Cela signifiait-il que le danger se trouvait devant elle, prêt à la frapper quoi qu'elle puisse faire ? Alicia lui apparaissait tel un phare en pleine nuit, sans savoir si elle éviterait les récifs grâce à elle ou si, au contraire, elle s'y abîmerait. ses mains étaient moites, rendant ses prises tant sur la lampe que sur la rapière glissantes, délicates. Elle poursuivait néanmoins sa filature avec une obstination qui frisait le ridicule, mais, à bien y réfléchir, il ne lui restait plus que cela. Abandonner maintenant ne garantissait pas qu'elle pourrait s'enfuir.

Elle vit apparaître la porte, telle la lumière au bout du tunnel. Alicia s'y engouffrait déjà et Anya, pressée, accéléra le pas. Elle ne savait pas ce qu'elle trouverait derrière, peut-être avait-elle traversé un étrange miroir ne reflétant qu'un monde malade prêt à l'écraser, peut-être était-elle sous l'emprise de drogues la faisant halluciner sans qu'elle puisse trouver le repos, à moins qu'il ne s'agisse que d'un souvenir horriblement déformé et bien décidé lui montrer la réalité de son univers en face. Elle ignorait laquelle de ces trois probabilités lui convenaient le mieux car, si elle survivait malgré tout à une telle expérience, elle savait déjà que son esprit mettrait du temps à s'en relever.

À présent devant la porte, elle hésita une fraction de seconde. Depuis qu'elle avait quitté sa chambre, le manoir n'avait cessé de se transformer au point d'en être méconnaissable. Il lui était désormais impossible de savoir où elle se trouvait. Son ignorance quant à sa situation atteignait des niveaux records qu'elle ne voulait plus jamais revoir. À nouveau, son cœur battait à tout rompre au point d'en résonner jusque dans ses tempes, elle n'entendait plus que ses battements occultant tous les autres sons.

Bodom...

Bodom...

Bodom...

Serrant les dents, elle ouvrit enfin la porte en grand.

Le cœur battant à lui rompre les tympans, Anya ouvrit la porte, aussi crispée que son le corps lui permette d'être, anxieuse à l'idée de ce qu'elle allait découvrir à présent.
La porte s'ouvrit étonnamment vite. Mais le plus étrange, compte tenu de ce qu'elle venait de vivre, était que cette pièce était la plus normale que ce qu'elle avait vu depuis ces dernières longues heures horribles.
La fenêtre, en hauteur, était de taille habituelle et aucun barreau n'y était apposé. La lumière ne vacillait pas et éclairait doucement la chambre de Félicia, la pièce même de laquelle Alicia était sortie avant que cette course-poursuite cauchemardesque ne commence. Félicia était justement étendue sur son lit, par-dessus les draps, dans ses habits de jour. Elle semblait se reposer. Elle tourna lentement la tête vers l'avocate-duelliste, ses yeux brun-verts grands ouverts.
"Bonsoir, Anya. Je suis surprise de vous voir ici." L'aborda-t-elle sur un ton inhabituellement monocorde. Elle semblait fatiguée.

Anya ne savait plus si elle devait être surprise ou non. Elle se sentait surtout épuisée, à bout de nerf. Elle regarda la chambre, pas la moindre trace d'Alicia ? Devait-elle s'en étonner ou non ? Elle ferma la porte derrière elle en retenant un profond soupir de soulagement.

"Je faisais le tour du manoir, afin de m'assurer si tout le monde allait bien. Cela ne semble pas être le cas pour vous", remarqua l'avocate-duelliste.

Se rappelant que son épée était toujours dégainée, Anya la replaça rapidement dans son fourreau.

"J'ai cru entendre un cri tout à l'heure, s'excusa-t-elle. J'en cherchais la source tout en vérifiant la bonne santé des habitants du manoir."

Pour Anya, ce n'était pas un mensonge, mais il s'était passé tant de choses en si peu de temps qu'elle doutait désormais de presque tout. Elle reporta son attention sur Félicia.

"Puis-je vous aider en quoi que ce soit ?" proposa la jeune femme.

Anya remarqua seulement maintenant les différents tableaux dans la chambre de Félicia. Elle les avait déjà vus, mais ce soir - cette nuit ? - ils avaient une signification bien différente. Les images dépeintes, les portraits, étaient grotesques, à la limite de l'horreur pour certains. Des formes horriblement distordues, des grimaces terribles que la dame de compagnie trouvait magnifiques. Conjugué à son histoire de grande cantatrice Vénitienne, il était clair que son esprit n'était pas le plus sain.
"Vous ne pouvez rien pour moi, ma chère." Continua la femme toujours couchée, regardant à nouveau le plafond.
"Je sais ce que vous avez fait, Anya. Vous avez trouvé le majordome mort dans la bibliothèque. Yunus vous a poursuivi avec un couteau. Vous avez suivi Alicia à travers un labyrinthe noir et êtes arrivée ici sans savoir pourquoi. Vous ne reconnaissez plus la maison. Vous ne vous reconnaissez plus vous-même. Vous avez découvert que votre vie a été un mensonge. Vous vous demandez pourquoi vous avez tant de mal à ressentir des émotions."
Elle tourna la tête à nouveau lentement vers Anya "C'est moi qui devrait vous demander ce que je peux pour vous."

Interdite, Anya regarda Félicia comme si elle venait juste de la rencontrer, incapable qu'elle était de discerner le vrai du faux.

"Je..."

Elle ignorait comment aborder cette discussion, la cantatrice semblait pourtant la personne la plus à même de lui répondre, chose à laquelle elle n'aurait jamais songé en définitive. Elle défroissa sa robe avant de prendre une chaise et de s'asseoir. Elle inspira calmement, mit de l'ordre dans ses pensées, exercice de plus en plus difficile depuis le début de cette journée qui semblait ne jamais vouloir se terminer.

"Je n'arrive plus à distinguer le réel du fantasme, chuchota-t-elle. Le fait que vous sachiez toutes ces choses sans que nous nous soyons vu auparavant me fait douter de ma propre rationalité. Pourtant, j'ai l'impression qu'une vérité se cache quelque part..."

Elle ferma les yeux un instant.

"Ce que j'ai vu, ce dont je me suis souvenu, les dossiers d'Aimé, vous étiez au courant ?"

La question était purement rhétorique, cependant la réponse de Félicia l'intéressait malgré tout.

La dame de compagnie d'Aimé continua sur le même ton un peu monocorde "Je ne savais pas, maintenant je sais. Ce que vous avez vu est vrai, Anya, aussi incroyable que cela puisse vous sembler. Aimé est un effluent. La Loge des effluents est une Loge corrompue. Ils veulent comprendre la céphalie. Ils pensent pouvoir créer des céphales. C'est le but de toutes ces expériences qu'ils mènent sur leurs victimes. Ils nous mentent, nous brisent, nous contrôlent. Aimé est l'un des plus importants d'entre eux à Méthalume. Il était une victime aussi dans sa jeunesse, mais il est devenu lui-même bourreau. Son carnet, ce qu'il gribouille, était son seul moyen de bloquer son passé de ses pensées. Son seul moyen de ne pas y penser."
Félicia tourna à nouveau doucement la tête vers Anya "Votre vie a été un tissu de mensonges, mais elle est bien réelle. Tout comme le cauchemar que vous êtes en train de vivre : il n'est pas le vôtre, mais il est bien réel. Vous ne dormez pas. L'écryme recèle beaucoup plus de secrets que nous le croyons et nous ne les comprenons pas. Vous devez vous échapper, Anya. Partez d'ici. Plus personne ne pourra vous aider, dans cette maison. Alicia et Yunus sont des catalyseurs du rêveur, ils ne sont plus eux-mêmes. Mettez une fin à ce cauchemar. C'est la faute du garçon. Il a provoqué cela. Le Métropolite veut l'arrêter. Il vous aidera."

Anya ne savait pas si elle devait se sentir soulagée ou non. Le fait de ne pas être dans un rêve lui semblait improbable, car seul un rêve pouvait briser autant de règles et se poursuivre malgré tout. La réalité se devait d'être... rationnelle. Tangible. Elle ne pouvait pas changer au gré de ses humeurs ou de ses convenances, le haut se devait d'être en haut, l'intérieur d'une maison ne pouvait pas être plus important que ce que ses murs indiquaient. Malheureusement, il semblait tout aussi difficile à l'avocate-duelliste de contredire Félicia, simplement car elle ne pouvait apporter aucune preuve à même de la contredire. Ses tentatives répétées pour se réveiller restaient infructueuses, indiquant par là qu'elle pouvait effectivement ne pas dormir, la vérité restait toutefois difficile à appréhender. Apprendre qu'Aimé était bel et bien responsable la confortait malgré tout dans ses suppositions, il était bel et bien responsable de leurs malheurs actuels. Elle avait cependant du mal à en comprendre la finalité.

Des céphales ? On en est vraiment là ?

Anya n'avait jamais cru à ces calembredaines et ne s'était manifestement pas attendu à ce que la cantatrice amatrice d'arts étranges lâche une telle information marquée d'élucubrations.

Cependant...

Tout ce qui arrivait actuellement n'aurait jamais dû se produire.

Tout ce qui se produisait actuellement était la faute d'un seul homme, un homme qui n'était clairement pas un imbécile superstitieux, ou en tout cas qui n'en avait jamais donné l'impression.

Un homme qui, pour ne pas perdre la raison, s'astreignait à consigner dans un carnet des notes pour se vider la tête.

Quelle était la vérité dans tout ça ? Pouvait-elle réellement mettre la parole de Félicia en doute ? Quand bien même elle semblait être désormais la personne la plus censée de cette maisonnée avec Anya ?

"Comment puis-je y mettre fin ? Et de quel garçon parlez-vous ? Et ce métropolite, s'agit-il de celui qui a tout déclenché par sa venue ? À quoi ressemble--il ?"

Les questions se succédaient dans la tête de la jeune femme qui les recrachait aussi vite qu'elles investissaient son esprit, comme si elles refusaient de rester non dites.

Félicia plongea profondément ses yeux dans ceux d'Anya "Vous êtes dans un cauchemar, Anya. Vous devez l'arrêter. Je suis désolée de ne pouvoir vous aider davantage, ma très chère. Voyez-vous, je suis déjà morte."
Sur son dernier mot, Félicia fut changée en un clin d’œil. Elle gisait là, sur son lit, morte, ensanglantée. D'après les traces sur son coup, on voyait clairement qu'elle avait dut être étranglée avec une force terrible. Mais le pire était ses yeux. Là où, un instant plus tôt, ils regardaient encore Anya avec insistance, il n'y avait plus qu'un amalgame pulpeux d’hémoglobine. Il ne fallait pas être médecin pour se rendre compte que quelqu'un les avait griffés avec une fureur noire jusqu'à ce qu'ils n'y soient plus. Le visage de la dame était couvert de sang, ainsi que son oreiller et une partie de ses draps. Quelques gouttes avaient perlé au sol, au point que l'assassin ai marché dedans. La poignée de la porte en était recouverte aussi. En regardant ses mains, Anya se rendit compte qu'elle en avait elle aussi sur sa paume droite.
C'est alors que lui vint comme un flash la réponse : Alicia. Elle était sortie de cette pièce. Les traces de sang dans ces couloirs interminables, tant au sol que sur les murs, comme tracés à la main. Il ne pouvait s'agir que d'elle.

La cœur au bord des lèvres, Anya maudit en silence Alicia, Yunus et Aimé, bien que seul ce dernier soit probablement responsable de tout ceci. Il avait très certainement manipulé les autres au point qu'ils en perdent tout repère, ce qui les rendait immensément dangereux. Restait à trouver une solution pour mettre fin à cette folie. Fallait-il tuer Aimé ? Quelles en seraient les conséquences ? Ne l'était-il pas déjà ? Devait-elle fuir cet endroit ? Cette solution était sans doute la plus censée, affronter deux fous furieux en fouillant davantage le manoir en pleine décrépitude relevait de l'inconscience, surtout si la topographie continuait de changer de la sorte.

Bon sang...

Elle se mordit la lèvre à sang, un goût de fer emplit sa bouche tandis qu'elle restait là, assise, incapable de choisir la bonne solution, sans doute pour la toute première fois de sa vie. Et cela lui déplaisait au plus haut point. Elle couvrit le visage de Félicia avec sa couverture, geste futile dans une telle situation, mais il fallait bien conserver une trace d'humanité. Un éclair rageur traversa ses yeux tandis qu'elle se levait finalement. Quel que soit le degré d'aliénation de Yunus et Alicia, elle ne leur laisserait pas avoir le dernier mot. Si elle devait les croiser, elle les tuerait, car il était certain qu'ils n'hésiteraient pas l'ombre d'une seconde. Était-il possible de faire diversion pour gagner du temps ? La manoir n'était plus que l'ombre de lui-même, une parodie grimaçante de ce qu'il devrait être. Peut-être que, dans leur folie, ils cherchent malgré tout à protéger Aimé ? Dans ce cas, mettre le feu quelque part pourrait les occuper suffisamment longtemps pour lui permettre de quitter les lieux. Elle devait récupérer ses affaires, ne laisser aucune trace de son passage en ces murs, ce qui ne serait guère difficile, réalisa-t-elle non sans une certaine aigreur : elle n'avait au final que peu de bien au manoir, ayant souvent dû se déplacer pour remplir son office d'avocate-duelliste. Au delà de ces considérations, elle ne pouvait partir sans ses plaques d'identité et sans argent, elle serait trop vite rattrapée si elle procédait de la sorte. C'était clairement dangereux, mais elle savait à quoi s'attendre désormais et n'était pas sans défense.

Elle adressa une ultime prière à Félicia, la remerciant pour sa bienveillance par delà la tombe et quitta la chambre pour rejoindre la sienne, prête à vendre chèrement sa peau contre quiconque lui chercherait querelle.

La boule au ventre, Anya s'engouffra dans ce dédale de couloirs serrés et délabrés qu'elle ne connaissait plus. Un silence de plomb régnait dans la maison, un silence angoissant, assourdissant, comme elle n'en avait jamais entendu auparavant. Étrangement, elle pu trouver le chemin, bien qu'il ne ressemblait en rien à celui qu'elle connaissait, comme dans un rêve. Elle atteint sa chambre, plus sombre et plus petite que d'habitude, sans encombre.

Anya épongea la sueur qui maculait son front en soupirant. Elle réalisa qu'elle avait pratiquement fait tout le chemin en apnée, comme si même respirer était dangereux. Aussitôt assurée d'être seule,elle barra la porte de sa chaise et rassembla rapidement ses affaires. Elle avait une valise et un havresac qu'elle utilisait plus rarement. Elle décida de le privilégier pour son évasion, la valise l'encombrerait bien trop en cas de mauvaise rencontre., alors qu'en portant le sac à l'épaule, elle pouvait encore se débrouiller --et le laisser tomber au sol sans risque de l'endommager, contrairement à sa mallette. Elle le remplit avec vitesse, presque frénétique, de tout ce dont elle pourrait avoir besoin pour fuir le plus loin possible de cet endroit, notamment ses livrets de compte.

Vous êtes dans un cauchemar, vous devez l'arrêter...

Anya ne comprenait pas comment elle pouvait faire, ni de quelle façon procéder pour y parvenir. Elle comprenait néanmoins la nécessité de fuir le manoir, aussi s'y attelait-elle avec énergie. Étrangement, elle ressentait une forme de jubilation à partir de la sorte, sans doute parce qu'elle agissait à l'encontre totale de ce qu'on lui avait enseigné pendant des années. Ses affaires rassemblées, elle regarda une dernière fois sa chambre. Avait-elle toujours été ainsi, ou était-ce un effet de ce cauchemar ? Quelque part, elle connaissait la réponse : le manoir n'avait sans doute jamais existé, ce qu'elle avait pris pour la réalité n'était sans doute qu'un rêve dont elle s'était libérée sans trop savoir comment, voyant pour la première fois la vérité : elle ne dormait pas. Elle vivait dans un cauchemar éveillée. Elle se rappela d'un étrange livre dans lequel un garçon avait le choix entre deux bonbons, un bleu et un rouge. En prenant le rouge, il comprit que tout son monde était faux et que la réalité était horrible. Elle n'avait pas eu le loisir de choisir, mais le résultat semblait le même.

En remplissant sa lanterne d'huile, un sourire macabre apparut sur son visage. Plus jamais elle ne reviendrait ici, autant le signifier à Aimé, Yunus et Alicia, si tant est qu'ils soient encore capables de réfléchir. Elle vida le reste de son petit bidon d'huile sur le lit, traça une ligne jusqu'à son armoire puis jusqu'à la porte qu'elle libéra d'un coup de pied de son entrave. Alors, elle y mit le feu avant de quitter cette pièce sans se retourner, son épée en main.

Le feu pris rapidement et englouti doucement la chambre dans un brasier qui ne tarderait pas à se propager au reste de la maison. La plupart des maisons étaient faites de pierre, de mortier et de métal, mais ces manoirs luxueux avaient le mauvais goût de se payer ces fastueuses mises en scène naturelles pour montrer au commun peuple cette richesse à laquelle ils n'auront jamais accès.

Anya parcouru les couloirs avec autant d'empressement que d'attention, impatiente qu'elle était de pouvoir s'échapper de ce mauvais rêve. Dans un silence de plomb, elle atteignit finalement l'entrée, sa porte de sortie. Elle jeta un dernier regard vers l'intérieur sombre et menaçant aux proportions non euclidiennes qu'avait prise cette pièce. D'une main fébrile, elle abaissa la clenche et ouvrit la porte, rassurée de trouver cet échappatoire inespéré. C'est alors que son coeur se serra au plus haut point : derrière la porte se trouvait un mur. Le temps de se remettre de sa stupeur, elle se rendit compte qu'il n'y avait plus de porte du tout. Incrédule, elle regarda autour d'elle. Elle se trouvait bien dans l'entrée, les décorations, patères et autres vases indiquaient bien l'emplacement de la porte, mais elle n'y était tout simplement pas, uniquement un mur uni.

Une voix se fit entendre de l'un des couloirs et raisonna à l'infini et en s'amplifiant dans le hall d'entrée qui pourtant était d'un silence de mort. La voix s'insinuait dans l'esprit d'Anya, venait de partout et nulle part à la fois. Elle entendait les voix de Yunus et Alicia, mais déformées. Elles étaient plus graves et difformes, comme si un autre parlait à travers elles. Elle avait l'impression d'entendre Aimé, comme elle avait vu ses yeux sur le visage de Yunus.
"Anya ! Vous ne pourrez pas sortir d'ici !" Appelaient les voix d'outre-tombe.

Anya palpait le mur, cherchait à se convaincre que ce n'était qu'une illusion, en vain. Elle commença à le frapper de colère, ne goûtant plus du tout à cette plaisanterie de très mauvais goût.

"C'est ce qu'on verra !" Cria-t-elle, la rage au ventre et des larmes dans les yeux.

Tout cela était insensé. Comment séparer le vrai du faux, alors qu'aucun de ses sens n'y parvenait ? Un cauchemar, on s'en éveillait, à moins qu'elle ne soit pas dans le sien. Cette supposition lui fit marquer un temps d'arrêt. Était-ce seulement possible ? Pouvait-elle vraiment se trouver dans la tête de quelqu'un d'autre ? Non, c'était une élucubration pire que les autres, quand bien même Félicia aurait raison et qu'Aimé était parvenu à créer un céphale.

Un céphale.

S'égarait-elle en pensant ainsi ? Y avait-il une autre solution ? Elle n'avait jamais cru ces histoires à dormir debout, cependant, s'il y avait bien un être sur terre capable d'un tel acte de mystification, ce ne pouvait être que cela. Malheureusement, si c'était bel et bien la vérité, il lui serait difficile de lui échapper, encore plus de le trouver pour l'empêcher de nuire. Mais qui ne tente rien...

Le "manoir" semblait encore suivre une certaine logique, et, en plus de la porte principale, il y en avait d'autres, de service. Il y avait aussi les fenêtres du rez-de-chaussée, les portes-fenêtres de l'étage menant sur les divers balcons. Et il y avait Aimé également. Elle ne pouvait cependant perdre son temps avec l'incendie qu'elle avait déclenché. Elle misa sur le fait qu'aucune issue du rez-de-chaussée ne serait accessible et se dirigea immédiatement vers l'escalier du premier étage. Elle y vérifierait chaque fenêtre, chaque porte menant vers l'extérieur et, si rien n'y faisait, elle irait tuer Aimé.

Courant à travers le manoir non-euclidien, Anya ne rencontra que ce à quoi elle s'attendait déjà tout en espérant le contraire : il ne semblait pas y avoir de sortie. Les fenêtres étaient devenues trop petites ou trop hautes pour être utiles et les barreaux l'empêcheraient de toute manière de s'en servir pour s'évader. Les portes de service étaient encore plus désespérantes. Quand elles ne se volatilisaient pas comme la porte d'entrée, elles se contentaient de donner sur une autre pièce. L'une des pièces comportant une porte de sortie était même introuvable. Les couloirs et portes devant y mener la faisaient tourner en rond et revenir systématiquement sur ses pas. Mais la pire était la porte de la cuisine. Lorsqu'Anya la traversa, elle se retrouva à nouveau dans la cuisine, mais entrant par cette même porte qu'elle venait de passer pour sortir.

La fumée commençait doucement à envahir la demeure, plus épaisse et inquiétante que ce à quoi la jeune duelliste s'attendait. Pire encore, elle entendait de plus en plus souvent et de plus en plus proches des pas, tantôt lourds et trainants, tantôt plus légers et nerveux. Elle comprenait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps pour trouver une solution.

Déterminée à poursuivre sa course par la prochaine étape qu'était la mort de son patron, Anya se mit à courir vers sa chambre. Elle devait tenir le bon bout, car plus elle s'en rapprochait, plus elle semblait s'en éloigner. Les couloirs devenaient de plus en plus longs, étriqués, invraisemblables, illogiques, sombres et enfumés. Elle se trouva finalement là, devant la porte de la chambre, dans un couloir qui semblait faire plusieurs centaines de mètres de long. Avant qu'elle ne put avancer d'un pas supplémentaire, elle entendit une voix qui semblait raisonner dans sa tête et toute la maison à la foi. C'était la voix d'Aimé Murdzek qui criait "Arrêtez-là ! Arrêtez-là !"
Elle avança de quelques mètres et aperçu la silhouette rondouillette de Yunus devant la porte, un couteau à la main. Il était tellement loin qu'il en était presque imperceptible, mais cela n'empêcha pas la jeune femme de bizarrement pouvoir reconnaître ce regard bleu perçant et malade d'Aimé. En jetant un oeil derrière elle, elle vit Alicia, aussi éloignée que l'était Yunus, tenant un couteau également, les mains encore ensanglantées, barrant la route par laquelle elle venait d'arriver. Plus rien ne semblait faire sens, mais elle savait qu'elle allait devoir se battre contre ces deux gardes étranges qui s'avançaient maintenant doucement vers elle.